Lors de préparation de mariage ou de baptême, on me demande souvent de pouvoir chanter des « Gospels ou des négro spirituals ». De même, lors de cultes dits de « jeunes », on utilise les rares spirituals, avec des paroles en français. Ça fait plus jeune et dynamique que les psaumes de Goudimel.
Il est assez étonnant de constater la popularité de ces anciens chants d’esclaves noirs nord-américains en moins de deux siècles. C’est en effet après la fin de la Guerre de Sécession, en 1867, que le colonel Higginson publia le texte de plus de 40 spirituals chantés par les soldats noirs de son régiment. On peut regretter qu’en franchissant l’Atlantique, le négro spiritual ait été dépouillé de la profondeur et de la mystique de ses paroles. On me dira, avec raison, que ces chants sont intransposables en français (question de longueur de syllabes et de mots). Mais en agissant ainsi, on réduit ces chants à un rythme exotique plaisant aux oreilles occidentales. C’est un mépris total de l’héritage des esclaves afro-américains qui ont mis toute leur âme et tous leurs espoirs dans ces chants.
Heureusement, Marguerite Yourcenar, vivant aux États-Unis, a voulu rendre sa dignité à la culture du négro spiritual en montrant toute la richesse des paroles de ces chants pleins de vie et d’espérance (voir Fleuve profond, sombre rivière. Les négro spirituals, commentaires et traductions » (NR F poésie), Paris, Gallimard, 1966, rééd 2005). Ainsi, en traduisant au plus près, par exemple, le spiritual “Go down Moses” « retrouve le grondement de flots de la poésie épique et son bruit de foules en marche. C’est passionnément que ces travailleurs harassés des plaines de Géorgie ou des marécages de Louisiane ont rêvé des ruisseaux de lait et de miel de Canaan ». Hélas, le chrétien occidental en général, et le protestant français en particulier, ne supportent pas de chanter en langue étrangère. Dans nos recueils de chants, on se contente d’une ré-écriture totale des négro spirituals avec des paroles qui n’ont plus rien à voir avec celles de l’original.
Ainsi, sur l’air de «Go down Moses», spiritual qui exalte la libération du peuple esclave, le père Didier Rimaud (S.J.), appose les paroles que nous connaissons : « Seigneur tu cherches tes enfants ». Après tout, pourquoi pas ? Mais, au fond de mon cœur, quand je chante ce cantique, j’entends toujours ce rythme sourd du peuple enchaîné qui attend la délivrance et dont le cri monte vers Dieu : « Let my people go ! » Question éternelle : est-ce la musique ou les paroles qui nous élèvent vers Dieu ? À chacun d’y répondre avec sa foi, son histoire personnelle et sa culture. Le débat reste toujours ouvert.
Seigneur tu cherches tes enfants
Seigneur tu cherches tes enfants, Car tu es l’amour Tu veux unir tous les vivants, Grâce à ton amour Refrain : Seigneur, Seigneur, O prends en ton Eglise Tous nos frères, de la terre, Seigneur, Dans un même amour ! (Didier Rimaud / Bernard Geoffroy).
When Israel was in Egypt’s land, Let my people go, Oppressed so hard they could not stand, Let my people go Go down, Moses, way down in Egypt’s land. Tell old Pharaoh to let my people go. Thus saith the Lord, bold Moses said, Let my people go, If not, I’ll smite your first-born dead, Let my people go.