Le réalisateur suédois Ruben Östlund décline les figures géométriques à Cannes. Après The Square (Le Carré), palme d’or 2017, voici le Triangle de la tristesse.
Triangle of Sadness se raconte en trois actes, tous plus ridicules les uns que les autres mais terriblement efficaces (même si le troisième aurait pu se raccourcir quelque peu pour encore plus d’impact).
Ruben Östlund réunit une équipe fantastique pour raconter une histoire au cynisme mordant sur les classes sociales qui explosent en un chaos absolu.
Le premier acte est centré sur le monde de la mode masculine, peut-être le seul secteur où les hommes sont plus mal lotis que les femmes. Nous suivons Carl (Harris Dickinson) et sa petite amie – partenaire d’affaires Yaya (Charlbi Dean) lors d’une exceptionnelle dispute à propos d’un dîner et de la question de savoir qui doit payer l’addition.
Comme dans toutes les parties comiques du film, l’argument est prolongé jusqu’au point où il devient inconfortable de continuer à regarder.
Östlund et le directeur de la photographie Fredrik Wenzel maintiennent au contraire alors la caméra aussi longtemps qu’il est humainement possible, rendant le public aussi mal à l’aise que les personnages avant de révéler la chute.
Pour le deuxième acte, la dynamique change, les deux mannequins-influenceurs sont invités sur un yacht de luxe pour une croisière avec d’autres personnes toutes ayant en commun d’être extrêmement fortunées. Un endroit qui transpire si obscènement la richesse (les Rollex se donnent en cadeau de remerciement d’une simple attitude sympathique) que l’équipage (entièrement blanc) termine une réunion quotidienne d’équipe en scandant « Money ! Money ! » tandis que ceux qui travaillent sous le pont, au ménage et aux machines (des gens de couleur) ne sont ni vus ni entendus.
Au cours de cette deuxième partie, Östlund garde la caméra principalement statique et en plans moyens, faisant lentement monter la tension en rassemblant des influences multiples, de Titanic à Parasite en passant par Us ou de Jordan Peele ou Le sens de la vie des Monty Python, pour résultat ubuesque et malaisant (mais toujours hilarant).
Et ce n’est pas fini… s’ouvre alors le troisième et dernier acte qui se déroule sur une île avec quelques survivants au désastre précédent. Bien que le film s’essouffle un peu alors, il reste mordant et drôle tout du long, car Östlund ne cesse d’inverser et de réinverser les rôles de pouvoir pour tenir le public en haleine, tout en offrant une délicieuse catharsis sociale.
Triangle of Sadness divisera certainement mais Ruben Östlund a le mérite d’avoir un vrai parti-pris narratif, cherchant en plus à pousser le bouchon au plus loin quitte à déborder en durée et en audace. Je suis personnellement bon client. Et vous ?