Marie dans les évangiles

L’évangile de Luc raconte la visite d’un ange qui annonce à une jeune fiancée qu’elle attend un enfant alors qu’elle est encore vierge. Ce texte est à lire dans le registre de l’angélologie plus que de la gynécologie. L’ange annonce alors que le gynécologue ausculte. L’important n’est pas la façon dont Jésus a été conçu, mais l’annonce qu’en lui, « la Parole est devenue chair et qu’elle a fait sa demeure parmi nous[1]. » La réaction de Marie est admirable dans le registre du oui de la foi. Accepter la parole de l’ange alors que cela ne manquera pas de susciter l’opprobre de son entourage est la preuve d’un caractère bien trempé. Là-dessus, l’évangile met dans la bouche de Marie un cantique qui montre qu’elle a l’intuition de ce qui sera la révolution théologique et spirituelle de l’Évangile : La présence de Dieu ne se manifeste pas dans la force, la gloire et la victoire, mais dans l’accueil, l’humilité et le partage : « Il a fait descendre les puissants de leurs trônes, élevé les humbles[2] ».

Pendant le ministère de Jésus, Marie a une attitude qui rappelle toutes les mères du monde. À Cana, elle encourage son fils à se révéler et à assumer sa vocation[3], mais quand les oppositions se durcissent, elle cherche à le ramener à la maison[4]. Ces deux attitudes sont vraies. Marie est dans l’ambivalence de toutes les mères qui veulent que leur enfant accomplisse sa vocation et qui, en même temps, ont peur pour lui. Lorsque Marie cherche à ramener Jésus à la maison, ce n’est pas par peur et par amour maternel.

Enfin Marie est à la croix pour traverser la plus grande épreuve qu’une mère puisse traverser : elle assiste à la torture et à l’agonie de son fils crucifié par la haine des religieux et la brutalité des Romains. Elle est à la croix à l’heure où ses disciples que Jésus a présentés comme sa nouvelle famille[5] sont étrangement absents.

[1] Jn 1.14.

[2] Lc 1.52.

[3] Jn 2.3-5.

[4] Mc 3.31.

[5] Mc 3.33-35.

Les dogmes mariaux

Ces différents textes dessinent le portrait d’une mère admirable, mais la Bible ne dit rien de sa naissance ni de ses parents, pas plus que de sa mort. Le culte marial a largement débordé les affirmations bibliques. On comprend trop bien les raisons qui ont conduit à son développement : on a tous envie d’avoir une maman au ciel qui veille sur nous ! Lorsque la première Église s’est développée dans des villes qui avaient érigé des temples dédiés à Artémis, Athéna, ou Aphrodite, il était tentant de trouver une figure féminine pour les remplacer. Nous touchons là une différence fondamentale entre les deux Églises : le principe protestant est que la Bible est le critère ultime, et qu’il n’est pas sage d’aller au-delà de ce qu’elle dit de Marie.

Nous pouvons évoquer deux exemples dans lesquels les dogmes mariaux se sont éloignés de la Marie du Nouveau Testament. Le premier est celui de l’Immaculée Conception. Si Marie a été miraculeusement épargnée par le péché dès sa naissance, elle sort de l’humanité dans laquelle elle nous rejoint, car elle n’est plus dans la même catégorie que nous. C’est comme si on nous donnait comme exemple les anges qui sont proches de Dieu, ou si on nous disait que les oiseaux n’ont qu’à battre des ailes pour monter au ciel ! Comme nous ne sommes ni anges ni oiseaux, cela nous concerne peu. Rendre à Marie son humanité toute simple et son statut de pécheresse-pardonnée, c’est lui redonner cette proximité qui en fait une sœur dans la foi, et même une grande sœur, car elle parle à notre propre oui, à notre reconnaissance, à nos hésitations et à notre fidélité.

Le second dogme à interroger est celui de la virginité perpétuelle de Marie. Il se heurte d’abord au verset de l’évangile de Matthieu qui dit à propos de Joseph : « Il n’eut pas de relations avec elle jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils, qu’il appela du nom de Jésus[1]. » Ensuite, comment ne pas entendre que ce dogme est le fruit de la méfiance de la première Église vis-à-vis de la sexualité ? Sous l’influence de la morale pythagoricienne, les pères de l’Église ont souvent limité la sexualité aux nécessités de la reproduction. Au sein de cet univers mental, on comprend que l’Église ait promulgué le dogme de la virginité perpétuelle de Marie. Le problème est que de nos jours, l’Église tient un autre discours sur la sexualité alors qu’elle a conservé le dogme.

[1] Mt 1.25.

Marie dans le protestantisme

Au niveau théologique, la mariologie souligne l’importance de l’incarnation. Si nous confessons qu’en Jésus-Christ, Dieu est venu planter sa tente au milieu des humains comme l’affirme l’évangile de Jean[1], Marie joue un rôle unique, car elle est le canal par lequel la venue de Dieu a été possible.

Les protestants aiment la Marie dont parle la Bible. Ils aiment cette jeune fille qui dit oui à l’ange et qui affronte le regard en coin de ses voisins. Ils aiment la future mère qui chante un Dieu qui renverse les valeurs de notre monde, qui élève les petits et qui abaisse les puissants. Ils aiment cette femme qui relit dans son cœur les événements dont elle est le témoin pour en comprendre le sens. Ils aiment cette mère qui est partagée entre la peur pour son fils et son désir de le voir accomplir sa vocation. Ils aiment cette mère qui n’a pas reculé au moment où son fils a été arrêté et qui lui a été fidèle jusqu’au bout, jusqu’à l’épreuve ultime.

Ils aiment cette femme et ils se posent la question : quel regard porterait-elle sur ce que l’histoire a fait d’elle, comment comprendrait-elle qu’on l’appelle Reine du Ciel, Reine des anges et des saints, mère de l’Église, co-rédemptrice du genre humain… ?

[1] Jn 1.14.