En 1968, le théologien américain Harvey Cox publiait un livre qui allait marquer son époque : La cité séculière. Comme le titre le laisse entendre, il prenait acte de la sécularisation décrite par les sociologues. Presque trente ans plus tard, il a eu l’humilité de reconnaître qu’il s’était trompé. Dans un nouveau livre intitulé : Retour de Dieu, il affirmait que de nos jours, nous assistons plutôt à une renaissance religieuse que Gilles Kepel a qualifiée dans un de ses livres de « revanche de Dieu ». Un des marqueurs de ce retour de Dieu est le développement croissant des Églises pentecôtistes.

Naissance du pentecôtisme

Définir le commencement d’un mouvement a toujours une part d’arbitraire. Les pentecôtistes ont l’habitude de situer leur acte de naissance en 1906 dans la petite Église de la rue Azusa à Los Angeles. Un prédicateur baptiste, d’origine méthodiste, William Seymour, qui avait été chassé de plusieurs Églises, y présidait un culte lorsque l’Esprit s’est manifesté et qu’un mouvement de réveil a pris naissance. Un des fruits les plus spectaculaires de ce réveil était le caractère multiracial de l’Église : des Blancs, des Noirs, des Asiatiques et des Mexicains priaient et chantaient ensemble. L’Esprit permettait de vivre l’utopie de l’apôtre Paul disant qu’en Christ, « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme » (Ga 3.28).

À partir de ce lieu, la vague pentecôtiste s’est répandue dans le monde. En 1910, un observateur écrivait : « Dieu envoie cette ultime pluie de bénédiction pour rassembler les pauvres et les exclus… Il l’a répand sur les enfants, les domestiques et les servantes… Dieu choisit les méprisés, les gens de rien, et se glorifie en eux. » Comme les pentecôtistes privilégient les charismes individuels, les Églises se sont vite divisées, mais leurs divisions ont été une marque de leur dynamisme.

Les grands principes du pentecôtisme

Comme son nom l’indique, le pentecôtisme apporte une attention particulière à l’événement de la Pentecôte. Le Christ reste central mais c’est un Christ pneumatique, c’est-à-dire qu’il s’expérimente et que sa présence transite souvent par les voies surnaturelles du miracle et du merveilleux. Il s’inscrit dans la tradition des grands réveils méthodistes et baptistes des XVIII et XIXe siècle. Théologiquement il tire du méthodisme le thème de la sanctification comme signe de la conversion. L’héritage baptiste se repère dans la pratique du baptême par immersion et l’influence d’une culture congrégationaliste.

Un des marqueurs du pentecôtisme est la pratique du parler en langue qui est une prière dans un langage inarticulé. Cette pratique est évoquée dans le Nouveau Testament. L’apôtre Paul pratiquait cette forme de prière (1 Co 14,18) mais précise que « celui qui parle en langue ne parle pas aux humains, mais à Dieu », c’est pourquoi il ajoute : « dans l’Église, je préfère dire cinq paroles avec mon intelligence, pour instruire les autres, plutôt que dix mille paroles en langue » (1 Co 14,2,19).

Walter Hollenweger a suggéré une analogie audacieuse entre le parler en langes, ou glossolalie, et le scat singing du jazz qui est une improvisation en onomatopées que Louis Amstrong a rendue célèbre. Ces deux expressions – la glossolalie et le scat – sont nées dans les milieux afro-américains. Elles correspondent à un dépassement du langage lorsque les mots ne sont plus adéquats pour exprimer ce que l’on veut dire. Pour dire l’émotion la plus intime, les riches en vocabulaires sont poètes et les pauvres sont glossolales !

Au-delà du parler en langue, nous pouvons relever trois particularités du pentecôtisme.

La priorité de l’expérience sur la doctrine. Son succès dans les pays du Sud s’explique par la souplesse et les capacités d’ajustement du pentecôtisme. Souvent les pasteurs sont formés sur le tas, à partir de leur charisme personnel.

Les Églises encouragent l’expression individuelle à travers une démocratisation des dons spirituels.

Enfin le pentecôtisme souligne l’importance du témoignage. Ils relèvent de la catégorie « des “protestants pas sages“ actifs dans l’évangélisation » pour reprendre l’expression de Jean Baubérot.

Le pentecôtisme aujourd’hui

Depuis le mouvement s’est étendu sur les cinq continents. Selon l’historien Walter Hollenweger : « Le pentecôtisme est le seul exemple dans toute l’histoire d’une communauté religieuse qui passe de zéro à 500 millions de membres en moins de 100 ans. » Même si d’autres chercheurs trouvent que le nombre de 500 millions est un peu forcé, tous reconnaissent que c’est la branche du christianisme qui connaît la plus forte croissance. Si la tendance actuelle se confirme, le nombre des pentecôtistes dépasserait celui des catholiques vers le milieu de ce siècle.

Le pentecôtisme est une nébuleuse formée de centaines d’Églises différentes qui se situent sur un axe entre deux pôles. Une tendance traditionnelle qui cherche à organiser et à réguler l’expression de l’Esprit, ce qui donne des Églises souvent traditionalistes avec une théologie fondamentaliste. Un pôle, parfois appelé néo-pentecôtiste, qui privilégie l’expérience et qui est parfois plus ouvert sur le ministère féminin. Dans les années 1930, une des plus grandes Églises au monde était animée par une pasteure, Aimee Semple McPherson, à l’heure où aucune autre Église ne conjuguait le pastorat au féminin­­. Sur les questions éthiques, il existe au Brésil des églises pentecôtistes inclusives vis-à-vis de l’orientation sexuelle de ses membres.

Une question souvent posée est de savoir si le pentecôtisme est une branche du protestantisme où s’il est une nouvelle dénomination chrétienne à côté des catholiques, des protestants et des orthodoxes ? La compréhension de l’Église qui favorise l’événement sur l’institution est de facture protestante. En revanche le protestantisme interroge parfois le pentecôtisme sur son rapport à la Bible.

Si les protestants sont les chrétiens de la galaxie Gutenberg – l’inventeur de l’imprimerie – les pentecôtistes pourraient être les chrétiens de la galaxie Zuckerberg, le créateur de Facebook !