En poste à cheval sur le Liban et la Syrie, Hadi Ghantous va évoquer quelques données dérangeantes que l’on néglige d’habitude dans le conflit syrien. Sait-on, par exemple, que les alaouites, une ramification du chiisme à laquelle appartient le président Bachar, ne sont pas considérés comme de véritables musulmans par les sunnites, car ils ne pratiquent pas les 5 piliers de l’islam ?

Avant la crise, le Liban comptait environ 4 millions d’habitants dont 30 % de chrétiens, la Syrie 18 millions d’habitants dont 10 % de chrétiens. Dans ce pays un demi million de personnes ont été tuées, 8 millions déplacées, 4 millions exilées, dont la moitié de la population chrétienne. Au Liban la plupart des réfugiés repérés sont musulmans, les chrétiens ne se faisant pas enregistrer pour éviter d’être classés anti-régime.

Alep est pour sa part divisée en 2 zones [propos recueillis le 16 novembre 2016, avant la chute d’Alep] : l’une tenue par les rebelles dont l’islam n’est guère modéré – au pouvoir, il ferait des chrétiens des citoyens de 2e classe -, l’autre, plus peuplée, sous contrôle du régime du président Bachar, où sont regroupés tous les chrétiens et qui est peu évoquée par les médias occidentaux. Ce régime, très critiquable, respecterait mieux la liberté religieuse en n’obligeant pas, par exemple, les femmes à se voiler.

La Syrie se trouve prise dans un engrenage meurtrier. Sunnisme et chiisme veulent y augmenter leur sphère d’influence territoriale. Russie, USA, Chine, France y écoulent leur production d’armes. L’Arabie saoudite finance le conflit à raison de un demi million de dollars par jour. Les 50 prochaines années de production de pétrole offshore ont été vendues à la Russie. L’Iran se sert des tensions pour poursuivre sa recherche nucléaire. Et il y a bien sûr Daesh qui ne peut survivre sans guerre ouverte. Ecrasés dans un endroit, leurs combattants susciteront des conflits ailleurs.

Que doivent faire les chrétiens dans une guerre qu’ils n’ont pas choisie et dans laquelle ils ne veulent pas prendre parti ? L’un des grands rêves est de passer à l’ouest, mais il faut être bon nageur et arriver comme réfugié, sans emprunter la voie légale. Certes les chrétiens reconstruisent ce qui a été détruit, apportent une aide humanitaire. Mais cela ne traite pas les causes du conflit. Les chrétiens doivent agir en fonction de leur identité. Ceux des pays démocratiques devraient s’élever contre le recours à la guerre et la vente d’armes par leur vote, un moyen de pression efficace à la longue.

Les chrétiens d’Orient sont les seuls à pouvoir parler à toutes les parties. C’est très risqué car personne ne les soutiendra puisque qu’ils sont souvent considérés comme de simples pions. Leur présence ne doit pas juste marquer leur survie, mais avoir une portée éthique en tant qu’église.

L’islam traverse actuellement une période sombre comme la chrétienté au XVIe siècle avec les guerres de religions et l’inquisition dont Daesh est le pendant moderne. Les chrétiens ont vocation à rester au Moyen-Orient, pas seulement à cause de leur présence historique, mais de par le message dont ils sont porteurs, par exemple le pardon.  Les générations suivantes récolteront les semences de paix.

Pessimiste, le pasteur Hadi ? Du tout, sinon il ne resterait pas en Orient. Pour lui, un jour l’islam se réformera et les chrétiens ont un rôle à jouer dans ce processus. Debouts dans la tempête…