Selon beaucoup de protestants, peu importe que l’on parle d’église ou de temple pour désigner leur lieu de culte, l’essentiel n’étant pas là. D’autres, soucieux de la fidélité à des réalités historiques, géographiques et culturelles, tiennent à l’un ou à l’autre terme et avancent parfois des arguments théologiques.
Dans la plupart des religions, le temple désigne l’édifice qui abrite la divinité, comme le saint des saints dans le temple de Salomon à Jérusalem, au Xe siècle avant Jésus-Christ. «Ce sont les lieux de cultes catholiques, lieux de la ‘présence réelle’ qu’il faudrait par conséquent appeler temples et non ceux des protestants», relève le pasteur luthérien Philippe Eber, en poste à la paroisse Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg. Selon lui, désigner un lieu de culte protestant par le mot temple est par conséquent «d’autant plus paradoxal, que pour les protestants, aucun lieu n’est sacré et que Dieu ne réside pas dans un endroit particulier! Cela relève d’une méconnaissance théologique et parfois aussi d’une volonté de se positionner contre les catholiques…» Il considère le terme église, du grec ekklèsia qui signifie «assemblée, rassemblement ou communauté », bien plus approprié : «Ce qui fait l’église, c’est l’assemblée, réunie autour de la Parole et des sacrements ; ce qui donne l’identité à un bâtiment, c’est sa fonction.»
D’une manière générale, les luthériens utilisent le terme église, notamment en Alsace-Moselle, où beaucoup d’entre elles étaient catholiques avant la Réforme. «Elles ont tout simplement gardé ce vocable et aussi le nom de leur saint patron le cas échéant», explique Christian Wolff, archiviste aujourd’hui à la retraite. Et le fait que dans la plupart des villes et des villages de la région, il y ait deux églises, l’une catholique et l’autre protestante, n’a jamais posé problème.
Des temples chez la plupart des réformés
À quelques exceptions près, les héritiers de Jean Calvin privilégient quant à eux le terme de temple, tant en Alsace-Moselle que dans la France dite «de l’intérieur». Cela tient à deux raisons. D’une part, du temps de l’Ancien Régime, l’administration royale interdisait aux adeptes de la «religion prétendue réformée1 » l’utilisation du terme église. D’autre part Calvin avait fait le choix du mot temple, n’ayant pas trouvé dans la Bible celui d’église pour désigner un lieu de culte. Les réformés, grands lecteurs de l’Ancien Testament, ont par la suite mis d’autant plus volontiers en avant ce lien avec le temple de Jérusalem qu’ils y voyaient une référence fondatrice antérieure à celle de la messe catholique, de laquelle ils tenaient à se démarquer.
Certains, à l’instar du pasteur Pierre Magne de la Croix, en poste à la paroisse réformée du Bouclier à Strasbourg, ne voient pas où est le problème si on utilise un terme plutôt que l’autre. «C’est très secondaire selon moi. L’Alsace est une terre de double culture et de double héritage ; l’essentiel est de s’adapter au public auquel on a à faire. Par exemple, lorsque je montre la ville à des visiteurs réformés, je n’hésite pas à dire que l’église Saint-Thomas est un temple protestant.» Il n’empêche : l’équation selon laquelle église égale temple et inversement ne conduit-elle pas nier des réalités historiques et culturelles ? Et uniformiser sous prétexte de pédagogie ou plus souvent par ignorance, n’est-ce pas brouiller un certain nombre de repères structurants ? C’est en tout cas ce que pense le pasteur Philippe Eber : «Les mots ont leur importance ; appeler temple les églises protestantes, surtout les luthériennes d’Alsace et de Moselle, relève d’une méconnaissance historique et d’un réflexe identitaire malsain.»