Un de mes professeurs de théologie m’a dit un jour : « Tu es le premier que je connais qui est devenu protestant en lisant Samuel Vincent ». C’est vrai que cela peut ne pas sembler évident que cet obscur et illustre pasteur nîmois du début du XIXe siècle vienne parler à un jeune homme de la fin du XXe.
Et pourtant, par le plus grand des hasards, à l’âge de 17 ans, je me lançais dans la lecture passionnée des Vues sur le protestantisme en France, écrite en 1829. Un ouvrage sur le protestantisme renaissant après les longues années noires de la persécution. Un protestantisme en plein essor en ce début de siècle nouveau et qui commence à agiter les théologiens et le monde religieux en général. Car si le protestantisme a su se maintenir dans la clandestinité, il peut évoluer maintenant et devenir une spiritualité nouvelle pour cette France née de la Révolution.
Un théologien des Lumières
Samuel Vincent, fils et petit-fils de pasteurs du Désert, est né l’année de l’édit de tolérance, comme un signe d’une liberté en devenir et si proche. Une liberté qui allait marquer sa propre vie spirituelle et sa théologie. C’est en étant lecteur et surtout traducteur des œuvres de Schleiermacher qu’il introduit dans la théologie française une pensée toute nouvelle qui inscrit le protestantisme dans la modernité. Et c’est justement cette nouveauté qui a parlé au jeune homme en quête d’une religion qui lui corresponde. Rompant avec une vision traditionnelle de la religion, présentant un protestantisme viscéralement attaché à la liberté tout en s’enracinant fidèlement dans les Écritures, Samuel Vincent fait entrer la foi dans la modernité. Tel un slogan qui pourrait encore être notre devise, il écrit : « le fond du protestantisme, c’est l’Évangile ; sa forme, c’est la liberté d’examen. » Il est un des premiers à établir un lien étroit entre Évangile & Liberté. Ainsi on peut considérer que Samuel Vincent, même s’il est l’homme d’un certain réveil, est le père du protestantisme libéral en France.
Ouvrir à la liberté
La modernité de Vincent ne se limite pas unique ment à celle de la théologie. Son attachement à la liberté l’amène déjà à être un précurseur de l’idée de laïcité. Alors que la République n’est pas encore définitivement et durablement installée, le pasteur nîmois perçoit déjà la nécessité, pour la religion comme pour l’État, de vivre de manière séparée pour garantir leurs libertés respectives, annonçant, trois quarts de siècle en avance, la loi de 1905. Samuel Vincent garde encore toute son actualité et son protestantisme est loin d’être dépassé, car il a en lui le ressort qui lui permet d’être encore contemporain. Et c’est encore dans ses mots que le pasteur que je suis trouve de l’espérance : « De la vie de l’âme, du choc des opinions, des discussions libres, naîtra toujours le protestantisme. Il n’est donc pas prêt à mourir ».