“Il y a trente-cinq ans, alors que j’étais curé, je me suis conduit de façon répréhensible avec une jeune fille de 14 ans. Mon comportement a nécessairement causé chez cette personne des conséquences graves et durables.” Ces mots, ces aveux du cardinal Ricard, lesquels ont été publiquement révélés le 7 novembre dans une lettre, ont suscité l’effroi et la consternation. Car c’est une figure de l’Église de France qui, cette fois-ci, reconnaît des agressions sexuelles. Alors que les scandales sexuels dans l’Église se multiplient, la sociologue Céline Béraud, spécialiste des questions de genre et de sexualité dans le catholicisme, estime, dans un entretien au Monde, que la crise que traverse l’institution est profonde.
Alors que “l’Église catholique a voulu jouer un rôle de barrage contre la reconfiguration des normes sexuelles”, se disant “attaquée par le ‘féminisme radical’, les ‘lobbies LGBT’ et des groupes extérieurs qui voudraient mettre à mal la morale traditionnelle”, les scandales sexuels “montrent que les questions de genre et de sexualité se posent aussi en interne : ce n’est pas juste une question concernant les pouvoirs publics et le statut du mariage ou de la famille”, analyse Céline Béraud. Et d’ajouter : “Ces scandales font bouger les lignes au sein du catholicisme français.”
“Situation critique”
Désormais, que ce soient des catholiques “réformistes” ou “conservateurs”, des fidèles ou des prêtres, des religieuses ou des religieux, toutes et tous partagent la même exaspération, explique au quotidien l’autrice de l’ouvrage Le Catholicisme français à l’épreuve des scandales sexuels (Seuil). Il y a eu plusieurs étapes à la prise de conscience collective : d’abord l’affaire Preynat, fin 2018-2019, suivie par d’autres révélations. Céline Béraud note ensuite la sortie du film Grâce à Dieu de François Ozon ainsi que celle du documentaire, diffusé sur Arte, sur les religieuses abusées. Puis, reprend-elle, l’année 2021, avec la remise du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), a ravivé “l’émotion collective”. Les dernières révélations qui accusent des membres de l’épiscopat sont venues exacerber ce climat d’indignation.
Pour Céline Béraud, “la question centrale qui se pose aujourd’hui pour l’Église de France est de savoir comment l’épiscopat arrivera à sortir d’un système qui permet de telles violences”, dit-elle au Monde. À cause de ces scandales, les évêques “sont devenus inaudibles”. Il suffit de voir ce qu’il s’est passé lors de l’Assemblée des évêques à Lourdes, où les scandales sexuels ont dominé l’actualité et bousculé l’ordre du jour. Aujourd’hui, avance la sociologue, “la situation est vraiment critique dans le catholicisme français.”