Séries, mode, mobilier…
Canal plus a lancé la troisième saison, très attendue, de la série OVNI, une fiction qui se déroule au cœur du GEPAN, un authentique département du centre national d’études spatiales, dédié à l’étude des « phénomènes spatiaux non-identifiés ». Si cette sympathique série fait du bien par l’humour et la poésie qu’elle véhicule, elle est aussi une ode aux années 1980. L’acteur Melvil Poupaud, en professeur Didier Mathure, moustachu et avec des pantalons à pattes d’eph, c’est mon père à la même époque. Des meubles aux voitures, en passant par la bande musicale tirée tout droit d’un album de Jean-Michel Jarre, on se repait avec tendresse d’une période jugée bénie et qui a disparu.
De l’autre côté de l’Atlantique, la série Strangers Things, dont la première saison est sortie en 2016, joue sur les mêmes ressorts. L’Amérique des années 1980 et sa pop culture y sont encensés par les enfants de ceux qui l’ont connue, avec force poster d’ET, Rubik’s cub ou talkie-walkies. La saga, dont on attend la quatrième saison, reconstitue à la quasi-perfection une ambiance – du décor jusqu’à la lumière – que n’auraient pas renié des films comme Retour vers le Futur ou Les Goonies. Stranger Things a vu naître de nombreux fan clubs bien actuels, dont les membres s’habillent comme les héros de la série, et appellent de leurs vœux le retour d’une époque révolue.
D’ailleurs en matière de nostalgie, la mode n’est pas en reste. Les vitrines sont remplies de combinaisons une-pièce (qui n’a pas eu en son temps la fameuse combi Naf-Naf ?), de salopettes en jean (la même que celle que j’avais en Sixième) ou de sneakers Vans – celles que les ado-skaters des années 1980 arboraient fièrement. Les couleurs fluos sont de retour, les sweat-shirts siglés Fila, Fiorucci ou Fruit of the Loom fleurissent à nouveau. Si l’on recherche quelque chose de plus habillé, on a droit désormais à une floppée de chemisiers imprimés « vintage », dont certains avec un col lavallière, dans lesquels on verrait bien Stéphane Audran, l’héroïne bourgeoise de bon nombre de films de Claude Chabrol.
Côté décoration, les brocantes ont le vent en poupe. Et on y chine des tasses « Mobil » en Arcopal, aux motifs géométriques et dans les tons orange et marron. Les mêmes que mon père échangeait contre des tickets lorsqu’il faisait son plein d’essence. Tous les grands succès de années 70, 80 ou 90 s’y arrachent, en particulier sur les sites de brocante en ligne : seau à glace en forme de tomate, lampe à huile parcourue de bulles de couleur, vaisselle orange, couvertures au crochet, sièges en rotin…
Dans les bars, si le Mojito et le Spritz gardent une longueur d’avance, ils sont désormais rattrapés par le Martini, le Picon-bière ou le Lillet, de délicieux breuvages dont je pensais que seule ma grand-mère (à l’époque) était consommatrice.
Vous l’entendez, ce petit refrain du « c’était mieux avant » ? Certains hommes politiques l’ont bien capté, et nous servent désormais le retour à une France surannée, soi-disant éternelle, et dont les valeurs permettaient à chacun de vivre heureux. Ah, nostalgie des Trente Glorieuses ou de l’enfance, quand tu nous tiens !
C’était vraiment mieux avant ?
Il y a quelques années déjà, le philosophe Michel Serres, dans un ouvrage éponyme*, avait bien démonté cette tentation de la nostalgie, rappelant à quel point les débuts du XXème siècle avaient connu leurs lots de misère et d’injustices, sur fond d’inégalités sociales, de problèmes de santé majeurs et de conflits meurtriers récurrents. Ils n’étaient pas du tout cette époque bénie qu’on tente de nous vendre.
Mais le passé, c’est rassurant. On sait où on met les pieds. La nostalgie combine deux émotions : la joie et la tristesse. Nous recontactons à la fois la joie que ce soit arrivé et le plaisir de s’en souvenir, et la tristesse que ce soit fini. Y revenir nous berce dans l’illusion d’un retour hypothétique vers la joie du passé.
Mais pour être tout à fait objectif, on revisite cette période en n’en gardant que le meilleur, et avec les yeux des adultes que nous sommes devenus. On regrette l’innocence et l’insouciance dans laquelle on était – ce qui est parfaitement normal, si l’on considère que nous étions des enfants, avec des soucis plutôt limités. Cela apporte du réconfort, comme lorsqu’on retrouve un vêtement qu’on aime bien porter. Il est démodé, mais on s’y sent confortable. Et on retrouve une certaine sécurité. Avant, les mutations étaient moins rapides et on avait le temps de s’y adapter. Les années que nous venons de traverser nous ont fait vivre une succession d’adaptations non choisies, autant qu’elles ont démultiplié les sources d’anxiété. Face à un présent morose et à un avenir incertain, sur lequel pèse des phénomènes mondiaux qui nous dépassent (crise sanitaire, guerre, réchauffement climatique) le repli dans la nostalgie du passé est un déni apaisant. La nostalgie est un refuge dans lequel l’anxiété trouve une anesthésie temporaire.
Mais lorsqu’on y réfléchit bien, ce sont des années teintées aussi d’ennui, et dans lesquels le bon goût était tout à fait relatif ! Je ne suis pas sûre d’avoir envie de mettre un seau à glace (en plastique !) en forme de tomate au milieu de mon salon… Les questions sociales, celles liées aux droits des femmes, des enfants ou des homosexuels (entre autres), étaient balayées, voire raillées. Je vous invite à aller sur le site de l’INA pour vous en souvenir.
Notre présent est déjà en train de devenir le passé du futur que nous redoutons. Ne l’idéalisons donc pas avec le temps qui passe, mais faisons-en, dans la mesure de nos possibilités, l’instrument de notre équilibre au quotidien – et si possible celui des autres. C’est déjà un beau projet.
* C’était mieux avant, Michel Serres, 2017, Le Pommier