J’ai commencé à m’interroger à la rentrée de septembre. Autour de moi, de nombreux couples annonçaient « prendre de la distance », faisant le choix de temporairement décohabiter – un euphémisme pour désigner une pause salutaire dans leur relation. Certains décidaient carrément de se séparer. Et puis j’ai interrogé des collègues thérapeutes, qui m’ont rapidement confirmé constater ce que j’observais de plus en plus fréquemment : la vie de couple avait mal résisté aux confinement/déconfinement/reconfinement successifs, et beaucoup en avaient profité pour reprendre leur liberté.

Mais qu’est-ce qui pouvait justifier une telle accélération ? A bien y regarder, plusieurs facteurs sont entrés en ligne de compte, pour créer un très mauvais alignement de planètes.

Je n’inclus pas dans cette réflexion les situations familiales dramatiques, pré-existantes au Covid, et dans lesquelles la violence était déjà présente. Le confinement a amplifié ces drames : on estime qu’en France, les cas de violences conjugales ont augmenté de 36% pendant le confinement (source : secrétariat d’Etat à l’égalité femmes-hommes). Les associations d’aide aux femmes victimes ont dû répondre rapidement à des situations d’urgence. La mise en place du 3919 et d’une ligne d’écoute pour prévenir les violences, destiné aux auteurs potentiels (08 019 019 11) a souvent permis d’éviter des drames.

Mais pour ce qui est des couples qui n’étaient pas en crise, installés dans une relation durable et stable, les remous ont été tout autant ressentis, et ce pour plusieurs raisons – parfois cumulées :

  • Le télétravail a concentré les tensions de la vie de famille
    Cet écueil a été rapidement ressenti par les couples ayant des enfants. Deux conjoints en télétravail, avec deux ou trois bambins en continuité pédagogique, ce sont autant d’occasions de disputes. Promiscuité, bruits, interférences de la vie familiale avec le travail, surcharge d’activité… ont exacerbé l’irritabilité et atteint la patience des plus sereins. La charge mentale des femmes a connu son paroxysme, dans un contexte fréquent de partage inégal des tâches domestiques.
  • La place de chacun a été interrogée
    Beaucoup de couple ne s’étaient jamais retrouvés ensemble aussi longtemps. A la manière des jeunes retraités qui redécouvrent la vie à deux au long cours, ils ont expérimenté la perte du « manque de l’autre », qui influe forcément sur le désir. Mais ils ont aussi découvert tous leurs travers. Chacun a vu sa place, son identité, son rôle, questionnés d’une manière inattendue. Chacun s’est révélé « tel qu’il était ». Manies de l’un, manque d’autonomie de l’autre…dans un contexte déjà explosif, l’autre est rapidement devenu un inconnu proche, « insupportable ».
  • L’autre, vécu comme insuffisamment soutenant
    Si les rôles sont généralement bien définis dans un couple, on attend toutefois de l’autre qu’il soit présent, à l’écoute, soutenant et compréhensif en cas de problème – et particulièrement s’il y a danger. Quand l’un va mal, l’autre est là. Or, la crise du Covid a précipité en même temps les deux membres du couple dans les questionnements et les incertitudes, dans la peur et dans les doutes. De nombreuses attentes se sont trouvées déçues : si l’autre ne peut pas/plus m’aider, quel intérêt peut-il y avoir à rester en couple ? Paradoxalement, la promiscuité a installé une distance.
  • La peur a parfois choisi son camp
    Dans un couple, il est souvent arrivé que l’un s’inquiète, et l’autre non. Que l’un soit très « accro » aux informations, et que l’autre s’en fiche complétement. Que l’un parle de la pandémie à longueur de journée, quand l’autre voulait précisément éviter le plus possible le sujet… La manière que chacun a eu d’aborder la crise a pu créer un hiatus, et un pont parfois infranchissable, chaque conjoint campant sur ses attentes et ses certitudes. Sans compter que les effets de la crise sur la santé mentale a pu affecter la capacité de chacun à résister.
  • L’autre a perdu en mystère
    Deux conjoints qui se retrouvent en fin de journée alimentent principalement leur conversation de ce qu’ils ont vécu en dehors. Anecdotes et informations se partagent, se commentent ou font débat. L’extérieur fait souffler un vent de fraîcheur à l’intérieur du foyer. La réussite des couples dans la durée s’inscrit davantage dans l’acceptation de l’autonomie de chacun que dans la fusion. Savoir que l’autre a une vie, un rôle, des missions au dehors – sa part de vie à lui – lui donne une part d’inconnu, voire de mystère. Or, pendant le confinement, tout a été vécu en commun, sans surprises, et plutôt dans la routine, voire la contrainte.
  • Les dérivatifs ont été limités
    Moi, quand je ne vais pas très bien, je commence par appeler une amie ou ma mère, ou je vais boire un café avec elle et me changer les idées… D’autres vont au cinéma, faire du sport ou peindre. Certains trouvent leur satisfaction dans des actions bénévoles ou associatives. Toutes choses qui ont été impossibles pendant des semaines. Sans espace de liberté individuel, dans un huis clos imposé, et avec peu de possibilité d’évacuer, la pression n’a fait que monter.
  • Le sursaut individualiste l’a emporté
    Doit-on attribuer à notre instinct de survie reptilien cet ultime état de fait : s’il n’en reste qu’un, autant que ce soit moi ! Face à la peur de mourir, aux difficultés quotidiennes, à la conscience que la vie est précieuse et courte, la plupart ont choisi de se sauver, eux, en définitive. La notion de ce qui est essentiel ou non nous a rendus nombrilistes. Beaucoup de personnes ont redéfini leurs priorités, leurs centres d’intérêt, leurs modes de vie… Dès lors, ce compagnon ou cette compagne de vie qui ne partage pas mes nouvelles attentes n’a peut-être plus non plus sa place dans cette nouvelle existence que je revendique.

Finalement, les couples qui s’en sont heureusement sortis (la grande majorité !) sont ceux qui ont réussi à rester soudés, et à comprendre qu’ils fonctionnaient à la fois sur une autonomie respectée et sur des valeurs communes. Ils ont été capables de redéfinir les rôles et de maintenir un équilibre dans lequel chacun a été respecté – tout en conservant une forte identité de couple.

En parcourant la littérature internationale, on constate que ces crises de couple ont été partagées dans à peu près tous les pays – la première observation de l’augmentation du taux de divorce ayant été faite en Chine… En France, les notaires ont enregistré une hausse de 25% des demandes de divorce par consentement mutuel dès le mois de mai…vraisemblablement dans la peur de la perspective d’un nouveau confinement. Le Covid a souvent accéléré les choses, exacerbé des situations déjà tendues, des problèmes de communication latents, qui ont simplement explosés. Si la crise est un temps pour apprendre, elle devrait aboutir sur des prises de conscience, et sans doute la création de nouveaux modèles d’équilibre de la vie à deux.