L’évangile du dimanche 24 mars
Marc 11.1-10 – Les Rameaux chez Marc
Introduction
Avant d’entrer à Jérusalem, Jésus s’arrête dans un lieu indéterminé, vers Bethphagé et Béthanie,près du mont des Oliviers, c’est de là qu’il va préparer son entrée dans la ville sainte.
Cette indication géographique pose les différents lieux où va se jouer le drame de la passion, entre Béthanie où Jésus recevra une onction prophétique[1], le mont des Oliviers où il se retrouvera avec ses disciples pour annoncer la fin du temple[2] et vivre le combat de la prière[3], et le temple de Jérusalem où il s’opposera aux religieux.
Dans cet évangile, Jésus n’est jamais allé à Jérusalem, la ville est le but de sa marche. Il a annoncé à trois reprises qu’il y sera crucifié. Alors qu’il arrive au terme de son voyage, il veut entrer dans la ville en posant un signe prophétique qui manifeste son Évangile.
Points d’exégèse
Attention sur deux points.
L’âne dans la Bible
L’âne est un animal important dans la Bible. Les commentaires rabbiniques disent que c’est le même âne qu’Abraham a scellé pour monter au mont Moriya pour sacrifier son fils, qui a parlé à Balaam pour l’empêcher de maudire Israël et que chevauchera le messie quand il entrera à Jérusalem. Nous pouvons ajouter que c’était sûrement le même âne qui a porté Jésus et Marie quand ils ont fui en Égypte pour échapper au massacre ordonné par Hérode.
Le jeu de piste pour trouver l’ânon
La moitié du texte est occupé par un point qui semble anecdotique, la façon dont les disciples se sont procuré l’ânon que Jésus a chevauché. Les disciples doivent suivre un jeu de piste pour trouver l’animal. Deux remarques sur la démarche.
Nous trouvons la même démarche lorsque Jésus envoie ses disciples préparer la Pâque. La proximité fait le parallèle entre l’humilité de l’ânon et le dernier repas de Jésus dans lequel il va préfigurer la passion.
Elle relève de la culture de la clandestinité. Jésus avait des partisans à Jérusalem qui n’étaient pas connus des Douze. Les mouvements clandestins ont toujours cloisonné les réseaux.
Pistes d’actualisation
L’ânon comme signe messianique
Lorsque le propriétaire de l’ânon interroge les disciples, ils doivent répondre : le Seigneur en a besoin. Pourquoi en a-t-il besoin ? Pour parler, pour poser un signe.
Si Jésus n’est pas arrivé à Jérusalem sur un cheval ou un chameau, ce qui aurait mieux répondu à l’attente de la foule, mais sur un ânon, ce n’est pas par défaut, mais pour transmettre un message.
Le Talmud qui est la compilation de commentaires des maîtres du judaïsme dit que nous trouvons dans la Bible hébraïque deux figures messianiques : la figure cosmique d’un fils de l’homme descendant des nuages[4], et la figure humble d’un homme chevauchant un âne[5]. Il ajoute que le Messie viendra soit quand une génération sera entièrement vertueuse, soit quand elle sera entièrement mauvaise. Dans le cas d’une génération entièrement bonne, le Messie sera cosmique ; et dans le cas d’une génération entièrement mauvaise, il viendra comme un pauvre, sur un âne.
La référence à Zacharie
La venue à Jérusalem sur un ânon est un accomplissement de la prophétie de Zacharie : Sois transportée d’allégresse, Sion la belle ! Lance des acclamations, Jérusalem la belle ! Il est là, ton roi, il vient à toi ; il est juste et victorieux, il est pauvre et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. Je retrancherai d’Ephraïm les chars et de Jérusalem les chevaux ; les arcs de guerre seront retranchés. Il parlera pour la paix des nations, et sa domination s’étendra d’une mer à l’autre[6]. Ce passage est une énigme : comment un roi humble qui chevauche un ânon peut briser les armes et dominer ? Dans notre monde la domination ne s’exerce que par la force.
La réponse de l’évangile est dans la croix. C’est en étant crucifié que Jésus apporte la paix et sauve le monde.
L’ambiguïté de la foule
La foule crie Hosanna ! mais a-t-elle saisi le signe de l’ânon ? Elle célèbre le roi de gloire du Ps 118, mais se souvient-elle que ce Psaume est aussi celui qui dit que la pierre qui est devenue celle de l’angle est aussi celle qui a été rejetée par les bâtisseurs[7] ? Cette foule qui crie Hosanna le dimanche, où est-elle le vendredi lorsqu’une autre foule crie : à mort ! Une autre foule ? En sommes-nous si sûrs ? N’est-ce pas le propre de la foule de crier Hosanna le dimanche et à mort le vendredi ?
Jésus a parlé à la foule car il a eu pitié d’elle, mais son projet est de faire des disciples, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui sont capables de sortir de la foule.
Une illustration : L’exemple de l’âne
Albino Luciani qui a été pape quelques semaines sous le nom de Jean-Paul 1er a fait de l’âne un symbole d’humilité. Pour lutter contre l’orgueil, il propose de se mettre à la place de l’ânon des Rameaux. Il dit : « J’ai cent fois suivi les funérailles de mon orgueil, m’illusionnant de l’avoir laissé à deux mètres sous terre et cent fois je l’ai vu réapparaître plus vif qu’avant. Quand on me fait un compliment, j’ai besoin de me comparer à l’ânon qui portait le Christ le jour des Rameaux. Et je me dis : si en entendant les applaudissements de la foule, il s’était enorgueilli et s’il s’était mis à remercier à droite et à gauche en faisant des révérences, quel âne il aurait été. Il ne l’a pas fait, je n’ai pas à être plus âne que lui. »
[1] Mc 14.3-9.
[2] Mc 13.3.
[3] Mc 14.26,32.
[4] Dn 7.13
[5] Za 9.9
[6] Za 9.9-10
[7] Ps 118.22
L’épître du dimanche 24 mars
Ph 2.6-11 – L’hymne christologique
Le contexte – L’épître aux Philippiens
L’épître aux Philippiens est une lettre de captivité. Paul l’a rédigée alors qu’il est en prison. Les commentaires sont partagés pour savoir s’il est à Rome ou à Éphèse. Paul envisage la possibilité de sa mort prochaine (1.20,23,2.17), même s’il espère sa libération.
Alors que sa situation est tragique – s’il est en prison, c’est pour avoir proclamé un évangile d’amour et de justice – et que son avenir est menacé, l’épître aux Philippiens est celle qui parle le plus de joie qu’il évoque à plus de dix reprises. La joie ici n’est pas dépendante des circonstances extérieures, elle est un fruit de la foi, elle est l’assurance que rien ne pourra nous séparer d’un Christ qui a été abaissé, mais qui par son abaissement a aussi été élevé.
Le modèle de cette tension entre l’abaissement et l’élévation se trouve dans l’hymne christologique du deuxième chapitre de l’épître.
Que dit le texte ? – Celui qui s’est abaissé a été élevé
L’hymne présente une structure en V : l’abaissement le plus radical suivi du relèvement le plus intégral.
L’abaissement est celui d’un Dieu qui s’est vidé de sa divinité en devenant un homme, et même un esclave, et même un rejeté qui a fini sur une croix. Parce qu’il a accepté de n’être rien d’autre qu’un esclave, le Christ a été élevé et a reçu le nom qui est au-dessus de tout nom.
Jésus a vécu ce qu’il a enseigné dans son évangile : Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité. Il n’en sera pas de même parmi vous. Au contraire, quiconque veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur et quiconque veut être le premier parmi vous sera votre esclave (Mt 20.25-27).
Notre passage reprend ce thème en appelant les Philippiens à avoir entre eux les dispositions qui sont en Jésus-Christ.
Dans l’Église et dans le monde, les vrais grands sont les plus serviteurs.
Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – la grandeur de l’ânon
Jésus a signifié la reconfiguration de la notion de grandeur lorsqu’il s’est fait acclamer comme roi alors qu’il chevauchait un ânon.
Quand on se représente un homme qui chevauche un ânon, ça a un côté ridicule : ses pieds touchent presque le sol et il sautille à chaque pas de l’animal. C’est dans cette situation qu’il a été acclamé : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le règne qui vient, le règne de David, notre père ! Hosanna dans les lieux très hauts ! (Mc 10.9-10).
Sur le coup, la foule n’a probablement pas compris ce qu’elle acclamait car elle ne pouvait imaginer la croix, et c’est après coup que les disciples ont entendu dans le récit des Rameaux une vérité plus profonde que ce qu’il imaginait. L’épître aux Philippiens les a aidés à le penser.
Le texte du Premier Testament du dimanche 24 mars
Es 50.4-7 – Soutenir celui qui est épuisé
Le contexte – les chants du serviteur
Le livre d’Ésaïe évoque des événements qui s’étendent sur plus de deux siècles puisqu’il parle du Ozias qui a régné jusqu’en 740 avant notre ère, de la chute de Samarie (722), du siège de Jérusalem par les Assyriens (701), de l’exil des enfants de Jacob à Babylone et du retour des exilés suscité par le roi perse Cyrus dans les années 530, enfin de l’installation à Jérusalem.
Il évoque la présence de Dieu dans l’histoire lorsque cette dernière est chahutée. Où est Dieu quand le pays est conquis, que les habitants sont humiliés et que le peuple est envoyé en exil ? Pour répondre à ces questions, la deuxième partie du livre comporte les chants du serviteur que les chrétiens ont lu dans une perspective christique. Ils sont l’annonce que Dieu n’abandonne pas son peuple lorsqu’il est opprimé. Parfois même, c’est dans son abaissement qu’il est le témoin fidèle du Dieu du ciel et de la terre.
Que dit le texte ? – Les insultes et les crachats
Les chants du serviteur peuvent être lus comme une littérature de résistance. Le premier verset rappelle qu’ils sont une parole pour soutenir celui qui est épuisé.
Quand on subit l’oppression, la grande difficulté est de garder sa fierté et de ne pas ajouter la honte à l’épreuve.
Pour encourager ceux qui sont dans l’épreuve, le texte rappelle que le serviteur du Seigneur aussi a connu l’oppression, il a livré son dos à ceux qui le frappaient et ses joues à ceux qui lui arrachaient la barbe, il ne s’est pas détourné des insultes et des crachats.
Cette parole est un soutien pour ceux qui subissent l’oppression et qui sont invités, comme le serviteur, à ne pas avoir honte et à rendre leur visage dur comme le granit.
Quel est le lien avec le passage de l’Évangile ? – Le quiproquo des rameaux
Dans le récit des Rameaux, Jésus a été acclamé comme celui qui vient au nom du Seigneur alors qu’il a posé un signe d’humilité en chevauchant un ânon et qu’il se dirige vers sa passion.
Sur le coup, il est probable que la foule n’a pas saisi le sens de ce signe et qu’il y ait un décalage entre le regard qu’elle portait sur Jésus et la vérité de ce qui se préparait. Mais par un retournement postérieur, les disciples ont entendu que celui qui allait être arrêté, humilié, flagellé et crucifié est bien le Serviteur du Seigneur avec un grand S. Cette annonce a été un puissant soutien dans l’histoire pour tous les humains qui ont subi l’oppression parce qu’ils avaient défendu la justice.
Aujourd’hui encore le grand combat de celui qui est opprimé est de lutter contre le sentiment d’humiliation.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenants : Antoine Nouis, Florence Taubmann