Prédication de James Woody au temple de la rue de Maguelone (Montpellier) dimanche 5 novembre 2023 sur Juges 1
« Chers frères et sœurs, l’actualité récente au Proche-Orient a convoqué la Bible pour s’en servir de programme politique et justifier la guerre, aussi radicale qu’impitoyable. Cette utilisation de la Bible ne peut pas nous laisser indifférents, nous qui faisons de la Bible notre règle en matière de foi. C’est la raison pour laquelle j’ai retenu ces versets qui peuvent être mis en tension avec les propos on ne peut plus belliqueux qui ont été tenus en s’appuyant sur la Bible. De ce premier chapitre du livre des Juges, j’aimerais porter à votre connaissance trois enseignements que nous pouvons en retirer : sur la notion de cadastre, sur le rapport entre la guerre et l’unité du peuple, enfin sur la tension entre haine de l’autre et fraternité.
Le cadastre n’est pas sacré
Ce premier chapitre du livre des Juges arrive après le livre de Josué qui a raconté par le détail l’installation du peuple Hébreu en Canaan, la terre que Dieu avait promise aux ancêtres. Le livre de Josué raconte les batailles, les victoires israélites et nous lisons aux chapitres 23 et 24 le résultat qui est sans appel. Le chapitre 23 qui aborde le temps de la vieillesse de Josué déclare : « beaucoup de temps s’était écoulé depuis que l’Éternel avait accordé du repos à Israël (en le délivrant) de tous ses ennemis alentour ». On peut dire que tout est réglé. Cela est confirmé en Jos 24/11-13 où Dieu raconte ce qu’il a fait pour le peuple qui a pris possession de la terre, ce à quoi le peuple répond au verset 18 « il a chassé devant nous tous les peuples, les Amoréens qui habitent ce pays ». Tout est réglé. Et puis on tourne la page, on arrive au livre des Juges qui raconte le jour d’après la mort de Josué et qui dit : « les Israélites consultèrent l’Éternel en disant : qui de nous montera d’abord contre les Cananéens, pour les combattre ? » Non, la nuit n’a pas été marquée par une attaque soudaine des Cananéens. Nous constatons une tension interne au texte biblique qui est le fait de deux rédacteurs différents. Dans le cas de Josué il s’agit de dire la domination absolue d’Israël sur le cadastre défini dans le livre de Josué. Le livre des Juges commence par un texte qui s’oppose à cette manière de raconter l’histoire d’Israël, ce qui remet en cause la domination absolue sur le territoire. Cette tension est le fait de rédacteurs différents, à des époques différentes, qui cherchent à exprimer des choses différentes. il y a notamment un rédacteur de l’époque du roi Josias, avant l’exil à Babylone, qui écrit une histoire destinée à justifier la politique expansionniste de celui qui gouverne Israël. Il y a aussi des rédacteurs, après l’exil, qui constatent que cette politique a conduit au désastre de la chute de Jérusalem et des déportations successives, un désastre qui s’explique en partie par une vision faussée de l’histoire et de la réalité : non Israël n’était pas seul sur la terre et il ne dominait pas le territoire. C’est une manière de dire que le cadastre n’est pas sacré[1], que le peuple n’a pas à fonder une certitude du sol et que Dieu n’est pas une justification à des opérations militaires qui permettraient de rétablir un état de fait qui, en fait, n’a pas existé. Cette critique interne à la Bible se positionne contre une instrumentalisation de Dieu pour servir un projet politique qui n’a rien de théologique, en fait. Le livre des Juges, dans ce premier chapitre, indique qu’il n’y a pas eu de conquête qui se soit soldée par une présence hégémonique des fils d’Israël – et pour cause : les recherches archéologiques indiquent que les Israélites ne forment pas un peuple qui serait arrivé d’Égypte, mais une population de Canaan qui se serait constituée localement comme une entité à part entière. Le mythe de l’entrée en terre promise dit l’émergence d’un peuple qui se libère du joug égyptien qui sévissait dans la région, par la conquête de l’Ouest du Proche-Orient Ancien.
Entre guerre vers l’extérieur et unité interne
Jg 1 commence donc par le récit de batailles à mener pour assurer la sécurité des fils d’Israël. Et le récit commence par Juda qui remporte des victoires en trompe-l’œil. Juda semble l’emporter contre un roi qui a lui-même vaincu 70 rois… qui sont censés avoir été déjà battus par les fils d’Israël dans le livre de Josué. Et l’épopée atteint son point d’orgue par la prise de Jérusalem (v. 8), cette ville qui est réputée avoir été prise par David en 2 Samuel 5, cette même ville que les Benjaminites (une tribu du Nord), n’arrivent pas à prendre aux Jébusites qui en sont les habitants (v. 21). Vous me direz que tout cela » […]