Matthieu 5/6
Heureux ceux qui font faim et soif de justice, car ils seront rassasiés.

Chers frères et sœurs, il arrive que le christianisme passe pour la religion de consolation des faibles, des perdants. Les béatitudes peuvent donner cette impression que le christianisme est un baume anesthésiant qui calme les douleurs de la vie.

À vrai dire, quand la religion accomplit cela, elle est dans le vrai. Elle accomplit une noble tâche qui avait été soulignée à juste titre par Karl Marx qui écrivit que : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple[1]. » La religion est tel un opiacé qui évite l’arrêt cardiaque en cas de douleur massive, lorsque la douleur pourrait être insupportable.

Toutefois, les béatitudes ne sont pas de cet ordre-là. Les béatitudes orientent la vie des croyants vers une exigence formidable qui est tout à l’opposé de la quiétude. Les béatitudes ne font pas la promotion d’un quiétisme. D’ailleurs, le terme même de béatitudes ne désigne pas un état de tranquillité ou la permanence d’un bien-être. Le terme employé ici traduit le mot hébreu asher, issu d’un verbe qui signifie s’avancer, s’élancer. S’il est question de bonheur, alors il s’agira d’un mouvement plutôt que d’un état définitif qui, dans la perspective biblique, est synonyme de la mort. Ce qui ne bouge plus, ce qui ne change plus, ce qui n’évolue plus, c’est ce qui n’est pas vivant.

Le mouvement qui est impulsé dans cette béatitude concerne la justice. Ce verset nous révèle que si nous avons faim et soif de justice, nous serons rassasiés. La félicité, c’est d’avoir faim et soif de justice, explique Jésus. La foi chrétienne est donc sensible à la question de la justice. Mieux que cela, la foi chrétienne nous sensibilise à la justice, au point de creuser notre appétit et de nous rendre avide de justice.

Dans cette béatitude où il est question de justice, l’Évangile ne consiste pas à croire que si nous souffrons d’injustice aujourd’hui, ça ira forcément mieux plus tard. Cela, ce serait un espoir dans des jours meilleurs. Or le christianisme ne propose pas de se nourrir d’espoir. Le christianisme révèle l’espérance disponible.

L’espérance de cette béatitude n’est pas qu’un jour Dieu nous rendra justice sous forme d’une rétribution en faveur de ceux qui ont été victimes et qui souffrent d’une injustice. L’espérance de cette béatitude est qu’il y a aujourd’hui des combats à mener pour la justice. Contre un esprit de défaitisme qui pourrait considérer qu’il n’y a plus rien à faire, plus rien à entreprendre et donc plus rien à espérer, l’Évangile déclare qu’il y a encore des défis que nous pouvons relever. Il y a encore des combats que nous pouvons engager.

L’espérance qui se dessine dans cette béatitude est une attente active et non une situation d’observation passive pendant laquelle on est spectateur. L’espérance est le refus de subir un ordre des choses qui n’a rien de commun avec ce que l’Évangile nous appelle à vivre et à accomplir.

Par exemple, les textes bibliques nous appellent à la fraternité, non pas une fraternité avec ceux qui nous ressemblent, mais la fraternité dans sa dimension universelle, ce qu’exprime la foi chrétienne par l’image d’un père céleste commun à tous. Les textes bibliques révèlent la nécessité d’un gouvernement des lois et non d’un gouvernement des personnes, qui bafoue les institutions et qui favorise l’intérêt personnel ou de caste aux dépens de l’intérêt général. Un gouvernement des personnes qui, nous le voyons avec le roi Salomon au moment où il prend le pouvoir, se traduit par des purges et la nomination de courtisans – l’altérité n’a plus sa place.

Avoir faim et soif de justice, quand la foi chrétienne nous titille, consiste à s’engager en direction de l’horizon de justice que dessinent les textes bibliques, un horizon qui n’a rien de commun avec ce qui encourage les formes de pouvoir despotique, la détestation de l’autre, ce qui altère la dimension universelle de la vie, mais qui a tout à voir avec un horizon qui est fait de liberté, de solidarité avec les opprimés,. Cette béatitude déclare que l’avenir dépend de nous, de notre manière de nous impliquer dans les actions en faveur de la justice. Vous voulez de la justice, eh ! bien vous allez être servis, dit Jésus, car il y a mille combats à mener en faveur de la justice.

Amen

[1] K. MARX, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel.