Texte de Luc Wenger, pasteur aumônier hospitalier.

Première paroisse dans les années 80. Milieu rural.

Jeune pasteur, je découvre l’importance du dialecte au travers de mes visites. Je me souviens à quel point bien des paroissiens âgés étaient soulagés lorsque je leur répondais en alsacien, ayant perçu leur désir de parler français parce que le pasteur en face d’eux était jeune… qu’il venait de la ville, qu’il avait fait des études… donc qu’il ne parlait pas ou plus le dialecte. Et bien des points délicats se sont avéré plus simples à traiter en conseil presbytéral lorsque la discussion se faisait en dialecte.

A cette époque, deux cultes sur trois sont en allemand. Pour moi ce n’est pas un problème, j’appartiens encore à cette génération qui sait prêcher dans la langue de Goethe. Là aussi, au travers des chants et d’une liturgie bien rôdée, le tissu communautaire se tissait aisément.

Je me souviens d’un fait qui m’a marqué. Lors d’une veillée de Noël, j’avais pensé bien faire en mettant des chants en français. C’est la seule chose qui fut retenue de cette célébration, et l’esprit de Noël n’était pas très présent dans les critiques. Ce soir-là j’ai compris l’importance de la tradition, et il est juste et bon de chanter Stille Nacht plutôt que Douce nuit. L’émotion dégagée n’est pas la même et ce, me semble-t-il, toutes générations confondues.

Je vis le bilinguisme comme une richesse

Petit à petit l’allemand a été remplacé par le français, argument mis en avant pour permettre aux jeunes de venir au culte. Je sais aussi prêcher en français, mais le pourcentage de jeunes au culte n’est pas monté en flèche.
C’est là un autre problème. J’ai par contre toujours utilisé le français au catéchisme, mais de temps à autre profité de l’occasion pour saupoudrer un peu d’alsacien… surtout pour rendre attentif à certains jurons bien de chez nous et qui étaient bien connus, même des francophones !

Au travers de mes différents postes pastoraux, j’ai aussi pu remarquer que certaines paroisses tenaient à affirmer une identité au travers de l’abandon du dialecte, alors que pour d’autres, c’était tout le contraire.
Un Kaffeekraenzel en dialecte est tout simplement plus savoureux qu’une rencontre de troisième âge et ce n’est pas la qualité des gâteaux qui est en cause, mais le parler du coeur. Et c’est là que je retrouve toute l’importance du dialecte, langue du coeur. Pour ma part je privilégie toujours la langue du coeur à la langue du cerveau… – ceci étant on peut parler en français avec son coeur ! En disant coeur, je fais référence à une histoire, une vie, une culture, des souvenirs, une simplicité verbale qui sonne vraie.

Aujourd’hui, aumônier en milieu hospitalier et gériatrique, l’alsacien est bien souvent présent dans les entretiens à partir d’une certaine génération. Un peu comme si le dialecte permettait de ne pas se sentir tout à fait perdu sur son lit d’hôpital.

Je vis, au quotidien, mon bilinguisme comme une richesse et un atout pour mon ministère, en parlant et pensant de façon bilingue… j’ai bien aussi deux hémisphères cérébraux.