Mais cette démarche de don de soi nécessite d’être clarifiée : qu’est-ce que le don ? Bien entendu, il y a consensus sur sa liberté, sur sa générosité, sur son caractère définitif… mais quid de sa gratuité ? N’y aurait-il vraiment aucune attente en retour ?

Don et contre-don font partie d’une même dynamique sociétal

Le sociologue Marcel Mauss, dans son Essai sur le don, il y a un siècle, a démontré combien le don et le contre-don font partie d’une même dynamique personnelle et sociétale. Le premier procède d’une morale universelle ; le second, quelles qu’en soient les règles, variables selon les sociétés (donner, recevoir, rendre), constitue son impérative réciprocité.

On perçoit combien la notion d’entraide, dans son appellation même, comporte un double sens de mutualisation, de réciprocité, de tiers, qui échappe souvent à notre entendement ou dont on pourrait se défendre. Donner du temps, de l’énergie ou de la compétence au service d’une entraide est une bonne cause pour soi aussi : le contre-don peut être un sentiment d’utilité, une lutte contre la solitude, un partage d’amitié… Sans doute les associations d’entraide devraient-elles faire preuve de vigilance et entendre, à travers l’engagement de chacun de leurs membres, le besoin de reconnaissance ou l’appel à l’aide qui peut se cacher derrière le don de soi.

Un sentiment d’échec est possible

Il me semble qu’il existe un deuxième écueil du contre-don au sein de l’entraide : si le sourire, la reconnaissance, le « merci », le geste de gratitude peuvent bien entendu annuler symboliquement la dette, le risque serait d’attendre un contre-don à la hauteur du temps et de l’énergie offerts. Lorsque la réussite scolaire, l’intégration professionnelle, l’accès à l’autonomie, à la sobriété… ne sont pas au rendez-vous, un possible sentiment d’échec, personnel ou collectif, peut infléchir négativement (voire suspendre) la poursuite de l’aide, comme si un barème du contre-don était d’usage ! Dans certaines cultures, il est impératif de ne pas donner plus que ce que l’autre est susceptible de rendre, afin de ne pas l’humilier…

Il y a une vie à côté

Le don a une limite, qui peut être dite, ne serait-ce que pour signifier que l’on ne donne pas tout de soi au même endroit. Il y a « une vie à côté », alors on arrive quand on peut et on part quand on doit, au risque sinon de ne plus percevoir le bénéfice du don et de passer du don à la plainte et à l’amertume. Un équilibre subtil est à trouver !

Un petit mot pour les salariés de nos institutions d’entraide : souvent moins bien rémunérés, donnant volontiers du temps « en plus », quel est leur contre-don si ce n’est de travailler dans un organisme dont ils se sentent fiers, dont le projet de vie est en adéquation avec leurs valeurs et convictions, et donne du sens à leur quotidien ?

Enfin, je pense qu’il est important de tenter une mise en perspective du don dans nos entraides protestantes, pour attribuer au contre-don sa juste place. Contestant une morale du devoir, de l’utilité, ou de la rétribution permettant de « gagner son paradis », la Réforme protestante a fait valoir l’amour gratuit, premier, de Dieu. N’ayant rien à prouver pour nous justifier devant Dieu, nous pouvons donner simplement pour témoigner notre reconnaissance et manifester joyeusement notre amour pour le prochain : le contre-don, nous l’avons reçu en amont !