L’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine n’est pas tombée du ciel, elle est la conséquence d’une réécriture de l’histoire organisée par le tyran depuis des années. Lorsqu’il justifie l’invasion en disant que l’« opération militaire spéciale » est une entreprise de « dénazification » afin de « protéger les personnes qui ont été soumises à des abus, à un génocide par le régime de Kiev », ses propos relèvent de la rhétorique de « l’effet miroir » qui consiste à accuser ses adversaires de ses propres vilenies.
Le discours de Poutine est une belle illustration de ce qu’on appelle la post-vérité, prisée par les régimes autoritaires. Elle consiste à ne pas juger un discours en fonction de son exactitude ou de son adéquation aux faits, mais de l’effet qu’il suscite chez ses auditeurs. L’histoire n’est plus une science humaine, elle relève de la propagande. L’entreprise est efficace à court terme et nous voyons une grande partie de la population russe adhérer à cette grille de lecture au nom du principe de la mémoire paresseuse.
Résister à la post-vérité
Quand Poutine accuse Kiev de génocide, son propos fait écho à un contentieux sur le regard porté sur la période stalinienne et sur l’Holodomor, la famine orchestrée en Ukraine par Staline, qui a fait 4 millions de victimes entre 1932 et 1933. En 2006, le Parlement ukrainien l’a officiellement qualifié de « génocide » pour marquer la nouvelle identité ukrainienne postsoviétique. Cette qualification a été dénoncée et rejetée par la Russie, qui l’a considérée comme une provocation. Poutine retourne l’accusation contre Kiev en l’accusant de génocide, alors que c’est lui qui est prêt à répéter l’histoire en bombardant les infrastructures civiles dans le but d’affamer les Ukrainiens et de les faire mourir de froid. Il serait arrivé à ses fins sans le soutien des pays occidentaux à l’Ukraine. Nous ne sommes plus dans les années 1930, les médias et l’opinion publique peuvent résister à la post-vérité.
Lorsqu’en décembre dernier, le Parlement européen a reconnu l’Holodomor comme génocide, il a reconnu une vérité historique et posé un acte politique. La vérité est fragile, mais Jésus a déclaré qu’elle rendait libre (Jn 8, 32). Il a ajouté à destination de tous ceux qui cherchent à la reconfigurer au service de leur idéologie : « Il n’y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne doive être connu » (Mt 10, 26).