J’ai effectué la seconde moitié de mon service militaire en Algérie à Laghouat d’octobre 1959 à décembre1960 dans une unité combattante avec le grade de brigadier (l’équivalent d’un caporal dans la cavalerie et l’artillerie). J’ai exercé alors les deux fonctions parfaitement contradictoires de secrétaire d’un officier de renseignement pendant huit mois et de secrétaire de l’aumônerie militaire protestante pendant toute la durée de mon séjour.

Laghouat était en 1959 une petite ville, elle comportait un quartier européen qui regroupait essentiellement des fonctionnaires, car elle avait été jusqu’à une date récente, la préfecture du département des Oasis, et un important quartier de population berbère avec une belle palmeraie arrosée par l’oued M’zi. Elle est située à quatre cents kilomètres au sud d’Alger, à huit cents mètres d’altitude au pied des montagnes et des plateaux de l’Atlas saharien. C’est la porte d’entrée du Sahara, point de départ de la traversée nord-sud du désert par la route. Elle revêt de ce fait une importance stratégique et comporte pour cette raison une caserne et deux forts militaires construits à la fin du XIXème siècle. Elle était dotée à l’époque d’un petit terrain d’aviation essentiellement militaire.
Pour éclairer le choix du titre et du sous-titre de ce témoignage, il faut considérer que les « tortionnaires » sont les militaires de carrière et les harkis qui composaient l’équipe de l’officier de renseignement et qu’ils torturaient des civils algériens. Quant au qualificatif de « soldat improbable » je le dois à mon meilleur ami qui nous avait baptisés ainsi dans une lettre envoyée pendant la guerre d’Algérie.

Le protestant

Protestant de naissance, je suis issu par mon père d’une authentique lignée familiale, du coté de sa mère qui appartenait à une famille de protestants lorrains remontant assez loin dans le temps, du coté de son père c’est un peu moins direct, car bien qu’issu d’une famille protestante ce dernier avait été élevé (baptisé et premier communiant) dans la religion catholique, ce qui ne l’a pas empêché de se marier avec ma grand-mère au temple protestant de Sèvres Bellevue en 1909. Son grand père était un protestant allemand émigré en France dans les années 1820. Il s’était marié à Paris au temple luthérien des Billettes en 1835 et où son fils (le père de mon grand père) avait été baptisé et s’était lui aussi marié.

J’étais très engagé dans les mouvements de jeunesse protestants, en particulier dans le scoutisme. C’est dans ce cadre que j’ai participé à des activités de la CIMADE (association d’aide aux réfugiés) comme bénévole de 1953 à 1955 et même comme salarié au mois de décembre 1955. La jeunesse protestante était alors plutôt antimilitaristes et nous nous posions la question de l’objection de conscience : c’est à dire de refuser de faire notre service militaire, en particulier de combattre en Algérie. C’était à l’époque illégal et justifiable d’une peine d’emprisonnement en forteresse de plusieurs années. C’est pour cette raison qui coupait l’objecteur de la société, qu’il me semble me souvenir que le protestant philosophe (c’est ainsi qu’il se définissait), Paul Ricoeur avait pris position contre l’objection de conscience et était plus favorable au témoignage dans l’armée.

J’étais mal noté par l’autorité militaire car j’avais refusé de faire les EOR (la formation d’élève officier de réserve) alors que j’avais le profil requis : bachelier ayant fait une […]