Très récemment, une de mes amies vient de perdre sa mère, et une de mes relations professionnelles sa fille. Deux deuils dont je suis personnellement éloignée, car je n’étais pas en lien direct avec ces disparus, mais qui me touchent en ce qu’ils frappent quelqu’un que je connais, que je fréquente, une personne pour laquelle j’ai de l’affection et dont je comprends la douleur. Il est difficile de s’associer à la peine de nos proches lorsque nous ne sommes pas concernés nous-même, et si nous souffrons de leur peine, nous hésitons sur la position à adopter.
Perdre un parent est dans l’ordre des choses, mais, même si l’on peut s’y attendre, et encore plus à l’issue d’une longue maladie, on n’y est jamais préparé. Et dans ce chagrin, je ne peux m’empêcher d’entendre un peu le mien, en pensant que je serai moi-même un jour confrontée à cette perte – le plus tard possible ! Perdre un enfant est un choc absolu, une incompréhension qui laisse sans voix et plonge dans une douleur indicible.
Que puis-je dire ou exprimer, qui ne soit vain ou hors de propos ?
Dans l’un comme l’autre cas, la personne endeuillée traverse avec des intensités variables les étapes du deuil, plus au moins longues pour chacun : déni, colère, tristesse, abattement… jusqu’à l’acceptation. Une notion qu’il ne faudrait pas confondre avec l’adhésion à la perte, mais qui signifie que cette information – l’absence de l’être cher – prend corps dans la réalité des vivants. Quel rôle puis-je avoir dans ce chemin de résilience ?
Ce qu’il faudrait éviter de dire
Bien des phrases sont maladroites, voire inaudibles dans ce genre de situations. Banales, elles minimisent l’événement, et l’on a surtout l’impression que celui qui tient ces propos cherche à se débarrasser du fardeau de la peine de l’autre le plus vite possible.
« Elle/il est plus heureux comme cela », « Tu vas faire ton deuil », « Je te souhaite bon courage », « Change toi les idées, pense à toi », « Il faut que tu passes à autre chose », « La vie continue »…
Si le proche endeuillé est dans le déni ou la colère, ces phrases attisent des sentiments rageurs et maintiennent dans une impuissance douloureuse. Mais l’excès n’est pas une meilleure option, car il ne serait pas crédible. Dans cette période de douleur et de fragilité, comment être un juste soutien ?
Manifester sa présence
Parfois, dire qu’on est là peut être suffisant. Signifier que l’on est à proximité, y compris du cœur, réconforte. Donner de son temps pour s’asseoir ensemble, même dans le silence fait du bien. Comme de savoir qu’on a le droit d’être naturel, et de pleurer, ou d’exprimer son désespoir ou encore de crier à l’injustice. Une écoute silencieuse et bienveillante, sans conseils ni jugements, permet de laisser libre cours à ces sentiments qui, s’ils sont réprimés, s’avèrent dévastateurs. Non pas pour pleurer ensemble, mais pour pleurer avec.
Ecrire et envoyer un vrai message manuscrit est préférable à tous les textos (que dire du détestable « RIP » sous un post Facebook !). Cela ne relève pas que de la bienséance, c’est surtout un geste qui touche et fait plaisir car il est concret. On peut aisément relire un message, le garder, le compiler avec d’autres, comme autant de traces en lien avec le disparu. Si l’inspiration manque, quelques lignes d’un poème bien choisi peuvent transmettre chaleur et humanité. Et selon ses convictions, on y ajoute ses pensées ou prières.
Accompagner un moment
Le soutien par la présence bienveillante peut consister à offrir un moment de répit simple et respectueux, en partageant une marche en forêt, une balade dans un parc, la visite d’une exposition… Théâtre ou cinéma seraient totalement décalés et indécents en pareille occasion, alors que les lieux qui confrontent la beauté à la réflexion peuvent entourer la phase de deuil d’un halo de paix.
Proposer son aide
Une personne qui traverse un deuil terrible est comme paralysée et s’interdit de nombreuses choses, se considérant comme une survivante, qui n’a pas le droit de se plaindre, et encore moins de profiter de la vie. La secouer ne sert à rien, en revanche on peut toujours demander : comment puis-je t’aider ?
Il ne s’agit pas ici de cadeau ni de présent. Cela peut parfois consister à faire pour l’ami dans le chagrin une chose banale, comme préparer un repas, faire quelques courses, le décharger d’une tâche ordinaire – sans pour autant se mêler des démarches dans lesquelles il pourrait se trouver contraint. L’idée est plutôt de soulager son quotidien, pour qu’il ait un fardeau en moins à porter.
Donner à réfléchir et à « panser »
Il m’arrive souvent dans ces périodes d’offrir des livres. Ceux qui aident un peu à comprendre, à philosopher ou à prendre de la hauteur, et avec lesquels on peut avoir une confrontation intérieure, surtout dans une phase de vie où tant de questions se bousculent.
Mon préféré est incontestablement « Petit traité de vie intérieure » de Frédéric Lenoir (dans le Livre de Poche) qui commence par ces mots : « Exister est un fait, vivre est un art ». Si l’auteur est un philosophe bien connu, sa lecture est aidée et les chapitres se succèdent au rythme des réflexions sur la confiance, le silence, la méditation, la liberté, l’attachement, la mort, l’humour, la beauté…
Dans des circonstances plus dramatiques, je fais souvent référence aux travaux de Viktor Frankl, qui a « inventé » la logothérapie au sortir de sa déportation, et après avoir perdu femme et enfant. Cette expérience au plus profond de la noirceur l’a amené à réfléchir à ce qui pourrait donner sens à l’incompréhensible. « Découvrir un sens à sa vie » (collection J’ai Lu) est un ouvrage de résilience avant l’heure, qui parle d’amour et de transcendance, et dont les pages les plus tragiques véhiculent pourtant un espoir lumineux. D’autres livres seraient sans doute tout aussi indiqué, comme les « Essais » de Montaigne ou « Cinq méditations sur la beauté » de François Cheng.
En tout état de cause, il est préférable d’être respectueux du temps dont l’autre à besoin, de son envie de proximité ou de distance, car traverser un deuil ne se décrète pas.