Parmi les réflexions des intellectuels qui nous aident à penser ce qui nous arrive, j’ai été intéressé par les propos du philosophe André Comte-Sponville qui dit que nous sommes en train de sacrifier la jeunesse au profit des personnes âgées.
Il suffit de relever que les victimes du Covid sont dans leur immense majorité des anciens (moyenne d’âge 81 ans) et que le confinement va coûter très cher en termes de chômage, de faillites et d’endettement. Ce sont les jeunes qui seront le plus touchés et ce sont eux qui devront rembourser nos dettes.
Que se serait-il passé si on avait confiné moins sévèrement ? On pourra apporter des éléments de réponse à cette question dans quelques mois lorsqu’on fera le bilan des politiques des différents pays.
Cette réflexion m’a intéressé, car les sacrifices d’enfants sont un thème biblique dont l’importance m’est apparue récemment dans ma lecture du Premier Testament.
Les sacrifices d’enfants étaient une pratique courante dans l’antiquité. C’est l’idée archaïque qui veut que si on offre à Dieu ce qu’on a de plus cher, il nous récompensera à la hauteur de notre sacrifice. On a retrouvé au Proche-Orient et en Afrique du Nord des milliers de stèles commémorant l’offrande pieuse d’un premier-né. Dans l’Iliade, Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie pour que les vents lui soient favorables afin qu’il puisse faire la guerre à Troie.
Dans la Bible, cette pratique est interdite dans deux passages du Lévitique[1] et deux passages du Deutéronome[2]. Le livre des Rois explique la chute du royaume d’Israël par le fait que des rois ont sacrifié leurs fils[3] et les prophètes Jérémie et Ézéchiel ont fait de ces pratiques abominables la raison de l’exil à Babylone[4]. La quantité des références montre qu’il ne s’agit pas d’un fait secondaire, mais bien d’une pathologie du religieux.
Gardons-nous de penser qu’il s’agit d’un archaïsme témoin d’un âge révolu. Le philosophe Michel Serres a défini la guerre moderne comme le sacrifice des enfants d’une nation au profit d’une cause, et André Comte-Sponville dit la même chose de notre politique face à l’épidémie.
Est-ce que notre complaisance face à une dette que nos enfants devront payer n’est pas une façon de les sacrifier ?
Est-ce que notre incapacité à changer nos modes de vie face à la menace écologique n’est pas encore une façon de sacrifier nos enfants ?
Ce thème biblique nous invite à prendre au sérieux le proverbe qui dit que nous n’héritons pas la terre de nos parents, mais nous l’empruntons à nos enfants.
[1] Lv 18.21, 20.2-5.
[2] Dt 12.31, 18.10.
[3] 2 R 17.17.
[4] Jr 19.5, 32.35 ; Ez 16.21.