Les nouvelles qui nous parviennent d’Haïti sont de plus en plus inquiétantes et sombres. Depuis quatre ans au moins des gangs s’y affrontent dans une guerre sans merci faite d’enlèvements contre rançon, de fusillades, de vols à mains armés, d’exécutions, de terrorisation de la population, … Les gangs enlèvent chaque jour des habitants de tout niveau socio-économique, exigeant des rançons de plusieurs milliers voire dizaines de milliers de dollars américains. Les victimes se comptent par dizaines dont des personnes âgées, des femmes et des enfants. L’un d’eux, fils d’un membre du gouvernement a été enlevé ces derniers jours et une rançon exorbitante réclamée pour sa libération. Les Haïtiens sont les principales victimes de ces enlèvements, mais des étrangers sont également pris pour cibles. Un français a été enlevé fin mai.

Ces gangs qui, depuis plusieurs décennies, contrôlent les quartiers les plus pauvres, de Port-au-Prince principalement, ont étendu leur emprise ces dernières années. Les bandes criminelles s’affrontent d’abord entre elles pour agrandir leur zone d’influence mais elles s’en prennent également à la population. Depuis fin avril au moins 150 personnes ont été tuées par des gangs dans les quartiers du nord de Port-au-Prince. Haïti connaît une situation instable, « qui se détériore dans un pourrissement sans fin », analyse le politologue Frédéric Thomas dans le journal Le Monde1. Depuis le 12 juin un gang a pris possession du Palais de justice de Port au Prince. Le mobilier et les ordinateurs en ont été déménagés puis mis en vente sur la plus grande place de la ville. Les dossiers judiciaires ont été visités et parfois détruits.

Cette situation a des conséquences dramatiques pour les enfants d’Haïti. Selon l’UNESCO et la FEPH2, plus de 1.700 écoles sont fermées dans la zone de Port au Prince et plus de 500.000 enfants n’ont plus accès à l’éducation. Le coût de fonctionnement des écoles augmente du fait de vigiles qu’elles sont obligées d’embaucher mais également parce que les gangs leur réclame de l’argent « pour assurer la sécurité de l’école ».

Il faut dire que ce petit pays situé dans l’arc de cercle des iles caraïbes semble marqué du sceau du malheur. En 1986 Haïti s’est libéré du joug terrible de la dictature des DUVALLIER père et fils mais, après l’élection colorée d’espoirs du père ARISTIDE, le pays a vite été rattrapé par l’instabilité politique, la manipulation des élections, les dérives autocratiques et, en juillet 2021, l’assassinat du président en Jovenel MOÏSE qui avait décidé de se maintenir au pouvoir malgré le terme de son mandat en février. L’État est depuis en totale déliquescence !

On se souvient qu’en 2010 un violent séisme a ébranlé Port au Prince faisant près de 300.000 victimes et autant de blessés. Un élan de soutien et de dons s’est manifesté très vite avec une promesse d’aide internationale annoncée à hauteur de 13 milliards de dollars. Un peu plus de 7 ont effectivement été débloqués dont 80% sont revenus dans la poche des pays donateurs par le biais d’achat de matériaux et de machines ou de salaires des envoyés. Depuis 2010 et encore en 2021, plusieurs ouragans sont venus détruire maisons, cultures, ponts, routes, écoles, … faisant encore des morts, des disparus et des blessés et semant la consternation et la misère.

Une rançon de 30 milliards d’euros d’aujourd’hui

Haïti est la première nation noire libre du monde après s’être libérée en 1804 de la tutelle de notre pays. A la restauration en 1825, Charles X en a reconnu l’indépendance après avoir exigé et obtenu qu’elle indemnise les anciens propriétaires coloniaux et la France. Pendant plus d’un siècle, jusque dans les années 1950, Haïti s’est saigné pour payer ce tribut et a dû souvent emprunter l’argent, à des taux d’intérêts très élevés, auprès des banques … françaises ! Cela a grevé profondément les finances de l’État haïtien et entravé la construction du pays. L’économiste Thomas PIKETTI estime que cela représente environ 30 milliards d’euros que la France devrait rembourser à Haïti3. En 2004, craignant que le gouvernement haïtien ne lui demande le remboursement de ce tribut inique, le président Jacques CHIRAC a préféré boycotter les festivités du bicentenaire de l’indépendance.

La dette de la France est immense vis-à-vis de cette ancienne colonie où furent amenés près de 800.000 esclaves qui ont permis à quelques entreprises et familles françaises (notamment protestantes) de construire leur fortune.

Sylvain Cuzent est président de la Mission populaire évangélique de France et secrétaire de la Frat’Aire du Pays de Montbeliard.

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1 Frédéric Thomas dans Le Monde daté du 30 mai 2022

2 FEPH- Fédération des écoles d’Haïti comptant plus de 3.000 écoles. En Haïti la très grande majorité des écoles sont des écoles privées, les frais d’écolage étant assumés par les parents.

3 Thomas PIKETTY, économiste, in Capital et idéologie, éditions du Seuil – 2019