Dans cette intervention qui a ouvert la 6e Convention du Forum protestant à Nîmes le 1er décembre, Frédéric Rognon revient sur cette école de pensée dont Charles Gide représentait à la fois le versant protestant et fédérateur.

On n’aurait pas pu imaginer meilleur lieu pour cette Convention 2018, consacrée aux nouvelles pauvretés et aux nouvelles solidarités. Quel meilleur endroit que Nîmes, en effet, pour parler de solidarité ? Car c’est bien ici, dans ce creuset que l’on a appelé l’École de Nîmes, que le concept moderne de solidarité a été forgé. Aussi, avant d’exposer les fondements et les enjeux de la notion de solidarité, j’évoquerai rapidement cette fameuse École de Nîmes.

On me demande souvent en quoi consistait cette École, et si elle a perduré, si elle existe encore. Si vous cherchez dans les pages blanches ou jaunes, vous trouverez beaucoup d’écoles à Nîmes, mais pas une École de Nîmes … Et au risque de vous décevoir, je dois vous annoncer ce matin (premier scoop de la journée) que l’École de Nîmes n’a jamais existé … Du moins sous forme d’une École. Pire encore, cette expression École de Nîmes ne vient pas des Nîmois, mais c’est un sobriquet, forgé par des économistes libéraux parisiens pour dénigrer ces Nîmois aux idées farfelues, et elle voulait simplement dire : École provinciale. Peut-il en effet venir quelque chose de bon de la Province, a fortiori de Nîmes … ? Mais comme bien souvent dans l’histoire, les tenants de l’École de Nîmes ont assumé le sobriquet, et l’ont subverti en marque de fierté, et l’expression a perduré jusqu’à aujourd’hui.

Alors, pourquoi Nîmes ? Dans son livre intitulé L’École de Nîmes, issu de son cours donné au Collège de France en 1925-1926, Charles Gide raconte qu’alors que Nîmes avait été jusque là passablement indifférente aux questions sociales, entre 1883 et 1887, elle donne lieu à quatre institutions de solidarité : l’Association protestante du Christianisme social, l’association pacifiste Les jeunes amis de la paix par le droit, une Bourse du Travail (la deuxième après Paris), et enfin le premier Congrès national des coopératives. Et ce Congrès est l’amorce du mouvement coopératif en France. Cette éclosion de l’idéal de coopération est le fruit d’une rencontre entre trois hommes : tout d’abord Édouard de Boyve et Auguste Fabre, puis Charles Gide qui les rejoint quelques mois plus tard. Il n’est pas sans intérêt de souligner que c’est une rencontre personnelle, un événement intersubjectif, qui a déclenché une telle vague. Il n’est pas non plus anodin de préciser – petit clin d’œil à notre Convention d’aujourd’hui – qu’Édouard de Boyve, d’origine lyonnaise et de mère anglaise, s’était d’une part converti à la foi […]