Devant l’horreur des attentats, les commentaires font de Charlie les héros de la liberté et du droit de blasphème la quintessence des droits de l’homme. Tout juste si nous n’avons pas un devoir de blasphème pour être un bon républicain !

Quelques mots sur le blasphème. Dans la Bible, lorsque David a commis un adultère avec Bethsabée et qu’il a fait tuer son mari, le prophète Nathan est allé le voir pour lui dire qu’il avait blasphémé le Seigneur en cette affaire[1]. Nous trouvons une idée parallèle dans l’épître de Jacques dans laquelle l’auteur déclare que les riches qui oppriment les pauvres blasphèment le nom de Dieu[2]. Dans ces deux récits, le blasphème contre Dieu ne recouvre pas une offense à la divinité mais un mépris du prochain. Rapportés à notre actualité, les crimes opérés au nom de Dieu sont bien plus blasphématoires que les caricatures d’un film ou d’un journal.

Une fois cette précision faite, quitte à faire entendre une petite musique différente, peut-on rappeler qu’il existe aussi une éthique de l’humour. Dans la Bible, il existe le rire qui allège et qui libère, c’est le rire de l’homme libéré[3] et le regard confiant de la femme vertueuse des Proverbes qui regarde à demain en riant[4]. Abraham a donné à son fils le nom de ce rire : Isaac veut dire « il rit » en Hébreu.

L’autre forme de rire est le rire de la moquerie qui peut tuer, c’est le rire des soldats et des religieux devant l’humiliation de Jésus[5], le rire de la raillerie qui repose sur l’abaissement de celui qu’on veut combattre. Les Pères du désert ont fait de ce rire une œuvre du démon.

Un même humour peut relever de l’une ou de l’autre de ces catégories selon les circonstances. Une même blague de l’humour juif peut être drôle quand elle est dite par des juifs et odieuse quand elle est dire par des antisémites. La même blague peut être libératrice quand elle est dite par un esclave et humiliante quand elle est dite par un maitre. C’est de cette façon que je comprends la phrase de Pierre Desproges qui disait qu’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui.

Plutôt que de faire du droit de se moquer de tout en toute circonstance – le stade ultime de la liberté, la démarche éthique consiste à se poser la question de savoir si on est en présence d’un humour libérateur ou d’un humour qui cherche à humilier le prochain. Parfois Charlie est l’un comme dans la magnifique couverture du numéro qui a suivi l’assassinat de ses journalistes… parfois il est l’autre… comme chacun de nous !

[1] 2 S 12.14.

[2] Jc 2.7.

[3] Ps 126.2.

[4] Pro 31.25.

[5] Mt 27.29,41.