Une perspective historique permet de nuancer les choses.

Commençons par quelques données bibliques sur les relations entre le religieux et le politique.

Dans le livre de l’Exode, lorsque le Seigneur envoie Moïse pour libérer son peuple, ce dernier demande un signe : « Voici quel sera pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir d’Égypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne[1]. » La liberté religieuse est la matrice de toutes les libertés. Les régimes totalitaires ont toujours cherché à museler les religions. Ces dernières s’opposent au totalitarisme en suscitant un espace dans lequel le sujet peut se dire et se définir ailleurs que dans la soumission au tyran.

Arrivé en terre promise, le livre des Juges présente un système politique sans pouvoir centralisé, chaque tribu étant indépendante. Le problème est que la situation s’est progressivement dégradée. Un verset revient régulièrement dans la dernière partie du livre est celui qui dit : « En ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël : chacun faisait ce qui lui convenait[2]. » Quand il n’y a pas d’autorité, chacun fait n’importe quoi. Le livre se conclut sur la nécessité d’une autorité centralisée, ce qui apparaîtra avec l’instauration de la royauté dans le premier livre de Samuel.

Les institutions du Premier Testament font apparaître la double nécessité du religieux et du politique et ce n’est pas un hasard si le prêtre et le roi sont les deux catégories de personnes qui reçoivent une onction, c’est-à-dire qu’ils sont choisis par Dieu pour assumer leur responsabilité. Le pays se développe quand les deux instances occupent leur juste place alors que la tentation de chacune est d’occuper toute la place.

Dans le Nouveau Testament, Jésus intervient dans le champ du religieux, mais il a légitimé le politique. On cite souvent le verset qui a pris valeur de slogan : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu[3] », mais il faut noter que ce verset est une réponse à la question de savoir si on peut payer l’impôt à César. Jésus répond qu’il faut payer l’impôt pour que César existe, mais que ce dernier ne doit pas oublier qu’il n’est pas Dieu. C’est dans cette même veine que Paul déclare que lorsque César est au service du bien, il est un ministre de Dieu[4].

Ce rapide parcours souligne l’importance de trouver une juste relation entre les deux instances. Nous trouvons dans l’histoire les deux dérives du gallicanisme lorsque les rois ont voulu contrôler l’Église, et de l’ultramontanisme lorsque les papes ont voulu exercer le pouvoir temporel.

La loi de 1905 est une réponse adaptée à la situation en France au début du XXe siècle dans la tension entre la république et l’Église catholique. Avec le temps, elle s’est peaufinée pour arriver à un équilibre qui respecte chaque instance.

En ce début de XXIe siècle, la donne a changé et le danger qui menace la République n’est plus l’hégémonie de l’Église romaine, mais la violence islamiste. La loi qui est en débat s’inscrit dans la recherche d’une reconnaissance mutuelle. Il est normal que la République se défende devant les menaces violentes et il est légitime que l’islam soit en quête de reconnaissance dans l’espace public. Cela ne se fera pas en une loi, c’est un long chemin pour que chacun occupe sa juste place. En faisant le pari de l’intelligence, on peut y arriver.

[1] Ex 3.12.

[2] Jg 17.6, 18.1, 19.1, 21.25.

[3] Mt 22.21.

[4] Rm 13.3-4.