L’acte qui consiste à voir débarquer chez soi au petit matin des gendarmes pour fouiller votre appartement et votre ordinateur est une d’une grande violence. C’est ce qui est arrivé hier Olivier Véran, Jérôme Salomon, Édouard Philippe, Agnès Buzyn et Sibeth Ndiaye dans le cadre d’une information judiciaire sur la gestion de la crise du coronavirus sous l’accusation « d’abstention de combattre un sinistre. »

Que les ministres aient commis des erreurs, sûrement. Dans une situation totalement nouvelle, difficile et largement inconnue, qui n’en commettrait pas ? De là à penser qu’ils se sont sciemment abstenus de combattre l’épidémie, il y a un pas que j’ai du mal à imaginer.

Alors de deux solutions l’une. Soit il est avéré qu’ils ont agi contre l’intérêt public au nom d’intérêts privés et l’affaire est gravissime. Je reconnaitrais publiquement que je me suis trompé par excès de confiance.

Soit, comme je le pense, cette perquisition ne trouve rien de délictueux et alors il faudra s’interroger sur la justesse de la procédure. J’ai toujours défendu l’indépendance de la justice comme garantie de la démocratie, mais quand la justice en vient à humilier le politique, un équilibre est rompu.

Les effets d’une telle annonce sont désastreux pour deux raisons. Elle alimente les thèses conspirationnistes les plus folles sur les origines de l’épidémie et sur la complicité de ceux qui profitent de la situation.

Elle décrédibilise l’autorité des politiques à l’heure où le gouvernement demande à la population des restrictions difficiles pour enrayer la propagation du mal. L’heure est plus à l’unité nationale qu’à l’instillation du soupçon.

Si chaque fois qu’un ministre fait une erreur, il voit débarquer les gendarmes à son domicile, qui voudra encore embrasser une carrière politique au service du bien commun ?

Au deuxième siècle de notre ère, rabbi Akiba était un grand maître du judaïsme. Une histoire raconte que lorsque des hommes lui ont demandé de devenir leur chef religieux, il leur a répondu qu’il en parlerait sa femme. Cette dernière lui a dit : « Pour que tout un chacun se permette de te faire honte et de te mépriser publiquement ? Pas question. »

Plus près de nous, Michel Rocard répondait dans une interview au Monde sur son expérience de Premier ministre : « L’opinion est devenue consumériste et, une certaine presse aidant, les responsables politiques, fussent-ils président ou Premier ministre, peuvent être insultés à merci. Et cela, c’est insupportable pour les proches. Moi-même, si c’était à refaire, je ne referais pas ce métier… Aujourd’hui, on nous insulte, on nous veut pauvres et on nous moque. Nos rois avaient leur bouffon, mais le bouffon n’entrait pas dans la cathédrale. Aujourd’hui, les bouffons occupent la cathédrale et les hommes politiques doivent leur demander pardon. » Et c’était avant les réseaux sociaux.

Avec de telles mesures, il ne faudra pas s’étonner de la baisse du niveau de nos politiques.