Le débat sur l’élargissement de la PMA[1] aux femmes seules et aux homosexuelles doit arriver en septembre au parlement. La loi sera sûrement votée puisque la majorité des Français sont favorables à cette extension des droits. Ce qui m’interroge est la pauvreté des arguments avancés. Puisque le rôle des théologiens est de complexifier les débats pour sortir des positions manichéennes (le bien d’un côté, le mal de l’autre), je voudrais démonter deux arguments qui me semblent faibles et soulever un enjeu passé sous silence. Mon but n’est pas de dire ce qu’il faut penser, mais d’aider chacun à se construire son opinion.

Premier argument fragile : ça se fait ailleurs – le pays le plus souvent cité est l’Espagne – et il y a une discrimination économique entre ceux, en l’occurrence celles, qui peuvent se payer le voyage à l’étranger et les autres. En poussant cet argument jusqu’au bout, il suffit qu’une chose se fasse quelque part pour qu’on la légitime puisqu’il y aura toujours des personnes qui feront le voyage. Les personnes qui avancent cet argument sont par ailleurs souvent opposées à la GPA (Gestation pour autrui) alors que l’argument économique est exactement le même. Avec de l’argent, tout le monde peut aller aux États-Unis pour payer une femme qui portera son enfant.

Deuxième argument fragile : la souffrance des femmes en désir d’enfants. Dans son avis 126 du 15 juin 2017, le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) interrogeait cette notion : « Certains pensent que ces désirs pourraient se transformer en vouloir, et, de proche en proche, en une contrainte qui s’exprimerait sous la forme “puisque c’est possible, il faut le faire“. » Un an plus tard, dans son avis 129 du 25 septembre 2018, le même CCNE se prononce pour l’ouverture de la PMA à toutes les femmes « notamment pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles. » Il faut ici interroger la notion de souffrance que je distingue de celle de douleur. Quand j’ai mal au crâne – une douleur – je demande à la médecine de me fournir une aspirine, mais quand j’ai un chagrin d’amour – une souffrance – vais-je lui demander un médicament ? Le propre de l’humain est qu’il n’est pas Dieu, il ne peut pas tout, il est confronté à la limite. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut prendre en compte aucune souffrance, mais que l’argument de la souffrance est insuffisant pour justifier une décision.

Le troisième point, plus décisif, concerne le rapport à la médecine. Il y a, à mes yeux, un saut qualitatif significatif entre la PMA pour un couple hétérosexuel stérile et la PMA pour un couple homosexuel. Dans le premier cas, on demande à la médecine de réparer un dysfonctionnement pour permettre une grossesse rendue impossible par une malformation. Dans le second cas, on demande à la médecine de dépasser la nature en offrant à une femme de faire un enfant sans l’intervention d’un homme identifié. L’enjeu sous-jacent est celui du rapport de la technique à la médecine. Tout ce que peut la technique est-il souhaitable ? Si la technique me promet demain un enfant blond aux yeux bleus qui mesure 1m90 et qui a 150 de QI, qui refusera ? Moi. Mais le jour où mon enfant qui sera le seul de sa classe à mesurer 1m70 et à avoir un QI normal, que lui dirai-je ? Un des rôles de l’éthique est de penser la limite, et dans ce registre, assigner à la médecine de réparer les défauts de la nature sans aller au-delà de ce que la nature permet est une position qui a l’avantage de la lisibilité.

Quant à la souffrance consécutive au désir d’enfants, de nombreuses femmes homosexuelles savent très bien comment être fécondées par une pipette, en dehors d’une relation sexuelle, à condition de trouver un homme qui soit d’accord pour donner son sperme. Encore faut-il trouver un homme fiable, mais c’est vrai de toutes les femmes ! On n’est pas obligé de tout demander à la médecine !

[1] Procréation médicalement assistée, je ne sais pas pourquoi on parle de plus en plus d’AMP, assistance médicale à la procréation.