Si l’annonce du confinement a fait l’effet d’une bombe, toutes les paroisses de la région parisienne ont réagi en quelques semaines en fonction de leurs moyens, parfois avec des trésors de créativité. Les mois suivants ont été plus complexes, mobilisant l’énergie constante des équipes organisatrices pour redessiner les contours des communautés et des activités, voire la stratégie. La rentrée a donc été l’occasion de tester les solutions les plus pérennes de témoignage ou de présence. Au moment où les paroisses s’apprêtent à entrer dans une réflexion synodale sur l’avenir, le bilan et les impressions laissées par ces sept mois sont contrastés.

  • AMBIGUÏTÉ DES RÉSEAUX

Si l’annonce du confinement a fait l’effet d’une bombe, toutes les paroisses de la région parisienne ont réagi en quelques semaines en fonction de leurs moyens, parfois avec des trésors de créativité. Les mois suivants ont été plus complexes, mobilisant l’énergie constante des équipes organisatrices pour redessiner les contours des communautés et des activités, voire la stratégie. La rentrée a donc été l’occasion de tester les solutions les plus pérennes de témoignage ou de présence. Au moment où les paroisses s’apprêtent à entrer dans une réflexion synodale sur l’avenir, le bilan et les impressions laissées par ces sept mois sont contrastés. L’utilité des réseaux sociaux durant la crise n’est plus à démontrer. La grande majorité des paroisses de toutes confessions s’est immédiatement orientée vers les systèmes de diffusion sur YouTube, Facebook ou Zoom pour les célébrations, des propositions de prière ou d’études bibliques. Dans l’Église protestante unie, cette pratique n’était jusqu’alors partagée régulièrement en région parisienne que par une dizaine de paroisses. Pour les autres, les débuts ont nécessité une formation rapide, parfois sans équipement ni temps pour mener à bien une réflexion de fond. Pourtant, chaque application de réseau social a ses particularités et son utilisation correspond à une vision différente de l’Église. Mettre en ligne un enregistrement ou un événement en direct n’est pas anodin, cela induit la diffusion d’un message depuis un centre vers une périphérie, la communauté ne participant que par ses réactions et ses « likes ». Proposer un espace où chacun se connecte et se voit peut révéler une autre approche de la communauté, vécue comme un lieu de parole partagée. Faut-il poursuivre la réflexion à l’avenir et la systématiser ? Le choix du réseau n’étant pas neutre, quelques paroisses ont développé plusieurs solutions suivant le type d’action qu’elles envisageaient.

  • DÉPLACEMENT DE LA COMMUNAUTÉ

Les réseaux sociaux ont été une solution immédiate de visibilité, même si l’aspect technique a révélé des points de fractures au sein des Églises. Pour les paroisses protestantes, ces fractures ne furent pas tant économique ou sociale que géographique et générationnelle. Beaucoup de personnes âgées ont subi un mode de communication qu’elles ne pouvaient capter faute d’ordinateur ou d’agilité informatique. Et les Églises de grande dissémination disent avoir souffert du manque de réseau internet dans les campagnes. Au point que beaucoup d’entre elles ont dû créer des réseaux de proximité physique ou de solidarité téléphonique pour rompre l’isolement de leurs membres. En revanche, tous les événements diffusés par réseaux sociaux ont été suivis par un nombre de personnes largement supérieur aux audiences habituelles. Beaucoup de pasteurs ont signalé la présence importante d’expatriés, de personnes inconnues souvent détachées de la vie d’Église ou de connexions depuis l’étranger francophone. La fracture interne à la communauté et dans le même temps l’ouverture au monde ont décalé les communautés de leur position initiale. Cela appelle une réflexion sur la solidarité envers les exclus technologiques, l’accueil des participants de passage, l’éventuelle identité communautaire.

  • UNE SITUATION D’AUMÔNERIE

L’État français détermine le besoin d’aumônerie par l’impossibilité de se déplacer pour exercer sa liberté de culte. Ainsi en est-il pour les hôpitaux, les aéroports, les prisons ou l’armée en opération. Durant le confinement, l’ensemble des chrétiens s’est retrouvé dans cette configuration, ce qui fait dire à certains que l’Église a vécu une situation d’aumônerie d’urgence. En réponse à l’isolement, le choix proposé par l’ensemble des Églises a été d’une telle variété, que beaucoup de personnes ont exploré plusieurs célébrations ou groupes de prières et découvert à cette occasion d’autres manières de faire, de vivre un culte ou de partager l’Évangile. Nombreux sont ceux qui en ont profité et se sont rapprochés d’une Église. Mais le retour à des manifestations plus classiques a tari une part de ce choix. Plusieurs communautés en dissémination souhaitent donc pérenniser les solutions mises en place, notamment pour le culte, la catéchèse ou des groupes de prière. Compte tenu de leur faible capacité d’intervention et des moyens nécessaires, ces solutions pourraient être envisagées au niveau de groupements paroissiaux, ou consistoires, les paroisses les plus à même d’agir pouvant servir de point d’ancrage technique.

  • PHARES OU LUCIOLES

La grande disparité entre les paroisses en région parisienne s’est amplifiée durant la crise. Certaines ont investi dans du matériel technologique parfois professionnel pour diffuser et faire entendre un message : caméras, matériel de sonorisation, de mixage, de lumière, comptes ouverts auprès de plusieurs fournisseurs d’accès, etc. Le budget engagé est parfois conséquent et hors de la portée d’Églises plus petites. Ces centres technologiques sont devenus des phares, irradiant une pensée, une action, une parole. Il ne s’agit pas forcément de grandes paroisses, mais de celles dont les priorités ont été suffisamment fortement définies pour drainer des dons et déclencher des investissements. À côté de ces grands émetteurs, les autres paroisses se répartissent en deux groupes. Celles qui ont fait le choix de la proximité par les cultes diffusés par internet mais aussi par email ou papier. On signale même une personne qui participait au culte en appelant une amie pour que celle-ci plaque son téléphone sur l’enceinte de l’ordinateur pour avoir le son ! Gazettes multipliées dans leur fréquence et leur contenu, indications pour suivre les manifestations d’autres Églises, célébrations familiales envoyées par mail, pour ces paroisses tout a été bon pour garantir le contact avec leurs membres. Quelques-unes réfléchissent à pérenniser l’utilisation des téléphones portables, par sms, WhatsApp ou autre système de communication en groupe, comme cela est déjà parfois utilisé pour les groupes de jeunes.

« Le confinement fait prendre conscience de l’atout que représente une spécialisation sur une action »

  • DES CHOIX STRATÉGIQUES

Certaines autres paroisses n’ont en revanche pas pu réagir, ou très partiellement. Le manque de pasteur est parfois évoqué, mais surtout l’impossibilité de s’organiser en dessous d’un certain nombre d’acteurs ou d’une logistique minimale. Beaucoup n’avaient pas à disposition les coordonnées de leurs membres, hormis celles de la poste… La réflexion est engagée en divers endroits sur trois axes. Elle porte d’une part sur l’aide que les paroisses plus actives peuvent apporter, simplement en mettant à disposition leurs enregistrements ou une formation en ligne. Le soutien de la région est aussi envisagé, notamment par la formation, le conseil en communication, le partage de moyens. Enfin sur un plan stratégique, le confinement fait prendre conscience de l’atout que représente une spécialisation sur une Le confinement fait prendre conscience de l’atout que représente une spécialisation sur une action action ou un témoignage spécifiques, là où beaucoup rêvaient de multiplier les événements pour se faire connaître.

  • AUX PORTES DE LA COMMUNAUTÉ

De l’avis général, les liens entre les membres d’une même communauté ont été renforcés durant la période de confinement. Au point que des rendez-vous réguliers ont ensuite pu être maintenus pour le plaisir de partager des nouvelles, prier ou réfléchir ensemble. Il en est de même des liens entre communautés, les possibilités pour chacun de se joindre à un groupe ou un culte d’une autre paroisse étant encore multiples actuellement. La solidarité interparoissiale, inscrite à un niveau matériel ou technologique, s’est également développée sur le plan humain, chacun relativisant largement le cadre de sa paroisse d’implantation. Mais cela se poursuivra-t-il ? L’impression partagée de « faire corps » semble principalement basée sur le sentiment d’urgence éprouvé par tous et sur le caractère exceptionnel de la période. Dans l’adversité, la communauté se serre les coudes et porte attention en son sein aux plus fragiles, quelle que soit leur communauté d’attache initiale. C’est ainsi que des groupes de partage téléphonique ont vu le jour dans une grande majorité des Églises locales, intégrant souvent des personnes de l’extérieur. Parfois organisées par le Conseil presbytéral, parfois issues d’initiatives personnelles, ces manifestations d’amitié ou de soutien ont pu devenir par endroits de véritables centres d’appel. Plusieurs communautés signalent des personnes passant une dizaine de coups de téléphone par jour, transformant cette action solidaire en plein-temps ! Au-delà du confinement et de l’investissement circonstanciel que cela représente, beaucoup s’interrogent sur la pérennité de ces visites, dans et hors paroisse. Le sentiment d’urgence a fait se lever des bonnes volontés, mais l’organisation de visites en temps normal relève d’une autre démarche et demande de la formation. De plus, un sentiment d’exclusivité du fichier paroissial pourrait naître rapidement. Nombreuses sont les initiatives qui pourraient s’arrêter d’elles-mêmes par manque d’entretien de la motivation, faiblesse de l’accompagnement des visiteurs, ou absence de formation. Il n’est pas aisé de visiter et d’établir un contact en profondeur avec des personnes que l’on connaît peu, surtout si les discussions aboutissent à un partage de nature plus spirituel. Là encore, le consistoire ou la région sont évoqués pour mettre en place des outils adaptés.

  • DES ENJEUX DE SOLIDARITÉ

Les rapports des paroisses avec l’extérieur ont également été signalés comme enjeux majeurs des temps de pandémie. Durant le confinement, les liens avec la cité ont certes été restreints, notamment les manifestations culturelles ou de représentation. Mais les relations de solidarité ont souvent été renforcées, les Églises étant reconnues comme actrices importantes du domaine social. Les entraides dotées d’une action d’accueil ont dû être momentanément fermées, pour raison sanitaire. La très forte demande de nourriture ou de repas a néanmoins été prise en compte, soit en proposant des paniers tout faits, soit en servant des repas à l’air libre. L’absence de nombreux bénévoles habituels a été partiellement compensée par des volontaires trouvés sur place. Cette réorganisation a permis à de nombreux bénévoles de connaître d’autres actions, d’autres lieux, d’autres associations et renouvelé une partie des forces vives de certaines entraides. Une réflexion s’engage aujourd’hui dans les paroisses qui en étaient dépourvues, pour monter un service d’entraide ou redéfinir les priorités des actions existantes. La question essentielle sera d’identifier ce qui a réellement manqué durant la période, pour y répondre concrètement.

  • CHANGER DE PERSPECTIVE ?

À bien y regarder, les personnes en marge de la communauté, par inertie ou par choix personnel, sont une interrogation pour les paroisses. Elles représentent une part importante des contacts et connexions. Leur éloignement ou le manque d’intérêt qu’elles revendiquent parfois pour les activités de l’Église semblent être en contradiction avec l’accueil chaleureux constaté lors des entretiens téléphoniques, ou la frénésie de consultation des sites internet et réseaux sociaux durant le confinement. Parallèlement, de nombreuses paroisses évoquent la volatilité de ces contacts et craignent l’essor d’une Église de consommation où chacun picore ce qui lui semble bon sans réellement s’ancrer dans une démarche. La question posée aux Églises pourrait bien être celle de la perspective de certaines activités. Célèbre-t-on un culte pour accueillir des fidèles, ou parce que la parole se partage ? Organise-t-on une rencontre de jeunes pour les intégrer à l’Église, ou propose-t-on une aide pour qu’ils mènent leur projet ? Une étude biblique est-elle centrée sur la compréhension du texte, ou sur l’impact qu’il a dans la vie ? Quelques réponses au sondage mentionnent l’importance essentielle d’avoir redécouvert plusieurs notions jusqu’alors cachées : la bienveillance, le recentrage sur la parole, la joie d’une prière partagée, la qualité de la présence.

  • DES MANQUES ET DES NOUVEAUTÉS

Beaucoup de réponses évoquent ce qui a manqué au cœur de la période de pandémie, citant pêle-mêle la difficulté de prier avec Zoom ou au téléphone, de célébrer la sainte cène chez soi devant un écran, de récolter des dons ou d’établir un débat de fond en visioconférence. Le plus important a certainement été l’impossibilité d’accompagner les personnes en deuil de manière satisfaisante, de se toucher. À l’inverse, de nombreuses idées sont nées en quelques mois. Des groupes de maisons familiaux par vidéoconférence, l’envoi de textes ou prières quotidiens par email ou sms, de nouvelles manières d’envisager le catéchisme avec le soutien de la famille ou l’apport technologique, etc. Un escape game a même été signalé dans une paroisse de la région. Ces avancées et ces difficultés se prolongent encore actuellement, avec le sentiment de responsables paroissiaux que le confinement est toujours à l’œuvre dans les communautés sur un plan psychique, alors même que les relations interpersonnelles sont redevenues possibles. C’est ici la qualité des relations et l’importance de prendre soin de la communauté qui sont en jeu. Les cicatrices seront parfois longues à effacer.

En bref

La rapide synthèse des réponses apportées par les Églises locales de région parisienne est riche d’enseignements et de directions possibles. La période de confinement a été une épreuve, en même temps qu’elle a dévoilé des manques, des richesses et des attentes, de la part de la population comme des membres des communautés. Sans doute y a-t-il là matière à projet, réflexion, évolution pour l’Église de demain.