Luther a écrit : « Le chrétien doit prier comme le cordonnier faire des chaussures et le tailleur des costumes ; la prière est le métier du chrétien. » La citation est belle, mais elle m’interroge. À quoi ça sert de prier face à l’épidémie ? Avec ma petite foi, ai-je la prétention de croire que ma prière va changer quelque chose ? Toute la part raisonnable de ma personne s’oppose à cette idée. Et pourtant, avec Luther, je veux croire que la prière n’est pas vaine.
Je voudrais proposer dans une série d’articles quatre raisons pour lesquelles il n’est pas vain de prier.
La première est que je prie pour me convertir, pour vivre mon rapport à la maladie devant Dieu. Le père de l’Église Denys l’Aréopagite a fait la comparaison suivante : « Si nous étions sur un bateau et qu’on nous eût lancé, pour nous porter secours, des cordages attachés à un rocher, d’évidence ce n’est pas vers nous que nous tirerions le rocher, mais c’est nous-mêmes, et avec nous le bateau, que nos halerions vers lui. » Selon cet apologue, le but de la prière n’est pas tant d’amener Dieu à faire notre volonté que de nous rapprocher de la sienne. Prier, c’est amollir mon cœur souvent trop dur pour qu’il puisse se laisser pénétrer par l’Évangile.
Une parabole de l’évangile raconte l’histoire d’une pauvre veuve et d’un juge inflexible qui ne craignait personne. La veuve réclame son droit, mais le juge ne veut pas lui rendre justice. Comme il ne craint personne, la veuve n’a aucune chance. Elle finit pourtant par l’emporter grâce à sa persévérance, parce qu’elle lui casse les oreilles. Cette parabole se termine par un verset qui a toujours été pour moi une brûlure : « Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18.8). Trouvera-t-il des hommes et des femmes qui ont la persévérance de la veuve ? Cette pauvre femme qui n’a plus rien se présente comme mon maître spirituel. J’ai toujours été édifié par la prière des petits.
Le Christ l’a dit à plusieurs reprises : « Veillez et priez ! » Il ne m’appartient de juger de l’efficacité de ma prière, il m’appartient d’être fidèle, persévérant. Dans le verbe persévérer, il y a le mot sévère. En latin persévérer, c’est per-severus persister dans la difficulté, à la différence de l’entêtement qui est la persévérance dans l’erreur.
Alors je prie. Je prie mal, je prie trop peu, mais je prie quand même, parce qu’il paraît que c’est mon métier. Et que Dieu ait pitié de ma toute petite prière !