Dans le Premier Testament, deux hommes ont reçu le titre d’ami de Dieu. Abraham[1] et Moïse dont il est dit que Dieu parlait avec lui comme un homme parle à un ami[2]. Ces deux hommes ont en commun d’avoir contesté Dieu. Abraham a défendu Sodome lorsque le Seigneur a annoncé qu’il avait l’intention de détruire la ville[3], et Moïse s’est élevé contre Dieu lorsque ce dernier a décidé de supprimer le peuple après l’idolâtrie du veau d’or[4]. Ils ont contesté et ils ont été appelés amis… comme si Dieu honorait ceux qui lui font partager leurs désaccords.
Dans son testament, Jésus a dit à ses disciples : « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père[5]. » Dans ce récit, la foi consiste à entrer dans l’amitié de Dieu. Un ami, c’est quelqu’un à qui on peut tout dire, quand on est d’accord et quand on n’est pas d’accord.
J’aime la citation de Maurice Maeterlinck qui dit : « Si j’étais Dieu, je ne permettrais pas aux hommes de s’agenouiller devant moi. Je leur demanderais de se tenir debout, de me faire face, de me regarder les yeux dans les yeux, de me traiter en égal, de me parler comme un frère parle à son frère. Il n’y a pas de raison pour qu’ils s’humilient en ma présence, puisque c’est moi qui les ai faits ce qu’ils sont. » Cette attitude peut être la marque de l’arrogance de celui qui défie Dieu, elle peut aussi être la marque de l’homme qui se présente devant son Seigneur dans la vérité de son humanité et qui aspire à cultiver l’amitié de Dieu.
Sur ses vieux jours, un journaliste a demandé à Jean-Paul Sartre s’il ne se plaignait pas de devenir aveugle et de ne plus pouvoir lire, lui qui avait vécu au milieu des livres. Le philosophe a répondu : « Devant qui voulez-vous que je me plaigne ! On ne se plaint pas devant la nature. » Avoir la foi, c’est croire qu’il y a quelqu’un devant qui on peut se plaindre, quelqu’un à qui on peut dire notre colère devant le mal.
Devant le grand malheur – et l’infection qui ravage une famille peut être un grand malheur – il y a ceux qui se taisent et qui espèrent passer entre les gouttes, et ceux qui gardent vivante leur colère et qui n’hésitent pas à la poser devant Dieu. Il peut l’entendre, il a les épaules assez larges pour ça.
Je prie parce que je ne veux pas m’habituer à la maladie.
Je prie parce qu’il en va de la dignité de mon humanité.
Je prie parce que lorsque je ne peux plus rien faire, je peux encore prier.
[1] Es 41.8, repris dans le NT en Jc 2.23.
[2] Es 33.11.
[3] Gn18.22-25.
[4] Ex 32.11-13
[5] Jn 15.15.