La semaine dernière j’ai été invité à participer à un débat sur Rcf (Radio chrétienne francophone) sur le thème de la providence[1]. La question est fondamentale et brûlante. Il y a en chacun de nous un enfant qui veut croire à la providence, et un adulte qui lit les livres d’histoire et le journal et qui se demande comment on peut y croire face au déferlement du mal et au tragique de la vie. Comment ne pas donner raison à Primo Lévi qui écrivait : « Aujourd’hui, je pense que le seul fait qu’un Auschwitz ait pu exister devrait interdire à quiconque, de nos jours, de prononcer le mot de providence » ? Face à cette constatation glaciale, que faire des versets de la Bible qui disent que Dieu nous protégera[2], que nous ne devons pas craindre car les cheveux de notre tête sont comptés[3] et que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu[4] ?
Malgré Primo Lévi, la méditation des Écritures me donne cinq raisons pour lesquelles je veux croire à la providence… quand même.
- Jésus nous appelle à redevenir comme un petit enfant (Mt 18.3), non pas à devenir infantile, mais à retrouver un esprit d’enfance. Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche a parlé des trois métamorphoses : « Comment l’enfant devient chameau, comment le chameau devient lion et comment enfin le lion devient enfant. » La confiance à cultiver n’est pas en deçà de la confrontation avec le grand malheur, mais au-delà, une confiance quand même. Certains théologiens l’ont appelée une naïveté seconde.
- Cet esprit d’enfance qui est au-delà du chameau et du lion intègre la colère et la révolte face au mal. Avec les hommes de la Bible, la foi en la providence m’appelle à interpeller Dieu et à lui dire avec le psalmiste : « Pourquoi, Seigneur… te caches-tu dans les temps de détresse ?… les voies du méchant réussissent en tout temps[5]», ou avec Jérémie : « Tu es trop juste, Seigneur, pour que je t’accuse ; je veux néanmoins te parler d’équité : pourquoi la voie des méchants est-elle celle de la réussite[6] ? »
- L’esprit d’enfance est le contraire de l’arrogance. Je veux croire à la providence car je ne veux pas ressembler à cette puce qui voyageait avec une copine dans l’oreille d’un éléphant. Quand l’éléphant est passé sur une passerelle l’édifice a tremblé et la puce a alors dit à sa copine : « t’as vu comme on a fait trembler le pont ! ». Je crois à la providence parce que Paul a écrit : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu[7]? »
- Je crois à la providence parce que l’échelle de temps de Dieu n’est pas la nôtre. Abraham est devenu le père de la foi le jour où il a répondu à l’appel de Dieu qui lui promettait une terre et une descendance. Il n’a eu qu’un seul enfant de la promesse vingt-cinq ans plus tard et la seule terre qu’il ait jamais possédée est la grotte dans laquelle il a enterré sa femme. Pourtant qui pourrait dire que cette promesse n’a pas été exaucée ? Dans l’épître aux Hébreux, il est dit des grands hommes de foi qu’ils « sont morts, sans avoir obtenu les choses promises ; cependant ils les ont vues et saluées de loin[8]. »
- Je crois à la providence parce que, lorsque je regarde le monde, je vois des pauvres qui y croient et des riches qui pensent qu’ils n’en ont pas besoin. Leonardo Boff est un prêtre brésilien théologien de la libération, il rapporte un témoignage : « J’ai vu un jour une femme plantée debout sur ses jambes, telle une Pietà ; son fils de quinze ans venait d’être abattu par la police ; il était son fils unique et lui rapportait ce dont elle avait besoin… elle ne pleurait plus car elle n’avait plus de larmes ; mais elle était profondément triste. Je lui demandais : “Madame, croyez-vous toujours en Dieu ?“ Alors elle me regarde, avec un regard droit : “Comment pourrais-je douter de Dieu, qui est mon Père ? À quoi m’accrocherais-je si je ne pouvais compter sur le soutien de Dieu et me sentir entre ses mains ?“ » À cause de cette femme qui me fait penser à plusieurs autres que j’ai rencontrées, je ne peux pas ne pas m’accrocher à l’espérance d’un dieu qui veille sur nous et qui nous accompagne dans les méandres de notre vie.
Au-delà du tragique de la vie et de la confrontation avec le grand malheur, la foi en la providence est une protestation contre le mal, au nom de l’espérance.
[1] https://rcf.fr/spiritualite/fondamentaux-de-la-foi/la-providence-cette-generosite-de-dieu
[2] Ps 91.
[3] Mt 10.28-30.
[4] Rm 8.28.
[5] Ps 10.1-2,5.
[6] Jr 12.1.
[7] 1 Co 4.7.
[8] Hé 11.13.