L’hiver dernier, la région parisienne où j’habite a connu de longues semaines de grève des transports publics. Je terminais un article de mon blog en faisant l’éloge des Franciliens, et particulièrement des habitants de banlieue, qui faisaient parfois trois ou quatre heures de transport/marche par jour pour aller au travail : « Le courage, la résilience et la conscience professionnelle de ces employés sont pour moi une vraie source d’espérance pour l’avenir de notre pays. »
Ces dernières semaines, l’épreuve était l’opposée : le confinement chez soi. Et encore une fois, la majorité de la population s’est comportée avec civisme. Et encore une fois, le pays a traversé l’épreuve grâce au dévouement de personnes ordinaires : les aides-soignantes, les infirmières, les caissières.
Ces hommes et ses femmes m’ont fait penser à ce que Vassili Grossmann appelait dans son roman, Vie et Destin, la petite bonté. L’écrivain met en scène le vieil Ikonnikov, un soviétique interné dans un camp de concentration allemand, qui médite sur le sens du bien. Il commence par remarquer qu’une des leçons de l’histoire est que les grandes idéologies qui prônent le bien comme absolu ont fini dans la tyrannie. Au grand bien, le prisonnier oppose la petite bonté : « C’est la bonté d’une vieille, qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d’un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. C’est la bonté de ces gardiens de prison, qui, risquant leur propre liberté, transmettent des lettres de détenus adressées aux femmes et aux mères… Cette bonté privée d’un individu à l’égard d’un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. Mais, si nous y réfléchissons, nous voyons que cette bonté privée, occasionnelle, sans idéologie, est éternelle. »
Une bonté sans pensée qui me fait penser à la parole de Jésus : « Quand tu fais un acte de compassion, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite. » (Mt 6.3)
Une bonté sans pensée qui me fait penser à la foi de Paul Ricœur : « J’ai besoin de vérifier la conviction qu’aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. Et si la religion, les religions ont un sens, c’est de libérer le fond de bonté des hommes, d’aller le chercher là où il est complètement enfoui. »
Une bonté sans pensée qui m’interdit de désespérer de mon prochain