On peut comprendre l’agacement de certains devant l’hypocrisie de ceux qui jouent les purs tout en trahissant les principes qu’ils veulent voir respectés par les autres. « Ne fais pas trop le vertueux », conseille d’ailleurs avec force la Bible. Mais n’y a-t-il pas un malentendu si l’on pense qu’avoir la foi devrait immédiatement faire du croyant un exemple ? Que la foi en Dieu ait toutes sortes d’implications morales est une chose, mais que l’homme arrive à être à la hauteur des implications de sa foi en est une autre.

Il serait pourtant absurde de remettre en cause la morale ou la religion parce qu’elles ne sont pas appliquées. Un mathématicien ne remet pas en cause l’idée de cercle parce qu’il ne réussit pas à tracer un cercle parfait. C’est précisément parce que nous nous donnons une orientation que nous pouvons y tendre. La foi devrait ainsi en principe nous conduire à être des êtres meilleurs. Non pas meilleurs que les autres, mais meilleurs qu’hier, plus justes évidemment mais, plus encore, porteurs de paix et d’amour. Encore faut-il que le croyant ait cette exigence, et cette relation vivante avec Dieu. Car si la foi est réduite à une simple affirmation intellectuelle de l’existence d’un Dieu ou à la simple exécution mécanique de quelques rituels religieux, comment pourrait-elle nous rendre meilleurs ?

Les meilleures intentions peuvent conduire au pire

Mais même quand l’on a une aspiration sincère à se relier à Dieu, ce n’est pas parce qu’on a la foi que disparaissent automatiquement les effets de notre soumission à nos passions, de notre mauvaise éducation ou de notre étroitesse d’esprit. L’état moral et spirituel dans lequel nous sommes détermine aussi la qualité de notre foi. L’homme de foi peut ainsi tuer les autres au nom de Dieu, avec sincérité et dévotion, comme il peut risquer sa vie pour sauver celle de ses ennemis. Sert-il Dieu ou se sert-il de Dieu ? Adore-t-il Dieu ou seulement une image qu’il s’est construite de Dieu ?

La foi peut même nous rendre plus mauvais lorsqu’elle nous conduit, dans notre misère intellectuelle et spirituelle, à nous replier au sein d’une chaleureuse communauté de certitude qui partage la même courte-vue que nous. Persuadé d’avoir seuls la Vérité et d’avoir le seul vrai Dieu de son côté, on se permettra de regarder les autres comme de pauvres brebis perdues ou, pire, comme des ennemis de la vraie foi et non comme des êtres qui peuvent peut-être nous conduire de manière inattendue à une vision plus riche ou plus profonde de la vie et de Dieu. Sans un travail sur soi qui consiste d’abord pour le croyant à s’ouvrir toujours davantage à l’amour de Dieu, c’est-à-dire aussi à soi-même et aux autres, sans certaines actions ou sans une certaine « passion », ne pourra naître cet homme nouveau dont parle l’apôtre Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi. » (Galates 2, v. 20)

La foi n’a pas de but

Dernier malentendu : la foi n’a pas en soi pour but de nous rendre meilleur sur le plan moral ni plus heureux, car la foi n’a pas de but. Elle renvoie à une relation d’amour entre l’homme et Dieu. Pourquoi aimons-nous la vérité ? Parce que c’est la vérité ! Pourquoi aimons-nous la beauté ? Parce que c’est la beauté ! Pourquoi aimons-nous la bonté ? Parce que c’est la bonté ! De même l’être humain, dès qu’il sort d’une relation infantile à Dieu, se tourne vers Dieu parce que c’est Dieu, et pour rien d’autre. Il retrouve dans sa foi une essentielle gratuité. Le déploiement de vertus morales et spirituelles ne sera que l’effet nécessaire mais secondaire de cet amour. La joie et le bonheur ne viendront eux aussi que par surcroît.

Reza Moghaddassi
Professeur de philosophie au Gymnase Jean Sturm à Strasbourg