Bien sûr son histoire et sa mise en œuvre sont chargées de zones d’ombres, de scandales et de hontes quand l’évangélisation a servi à affirmer une supériorité sur d’autres formes et contenus de foi, sur d’autres cultures, sur d’autres humains. Bien sûr elle est problématique lorsqu’elle est arborée comme un étendard de bataille et de conquête, comme l’établissement de rapports écartelés entre un « avoir raison » et un « avoir tort », lorsqu’elle est porteuse d’une vérité exclusive de toute autre expression que la sienne. Mais il serait bien triste de mettre le mot au rebut, de l’abandonner dans les oubliettes de la pensée ou à un usage à sens unique. Car l’évangélisation n’est rien d’autre que l’annonce de l’Évangile, l’annonce d’une Bonne Nouvelle qui oriente vers autrui, ce qui n’est pas le moindre de ses effets.
Lorsque l’évangélisation renonce à la conversion de l’autre, elle devient l’offre d’une proposition de sens, d’une proposition d’interprétation du monde et de l’existence ; elle devient offre d’un dialogue inconditionnel avec toute personne et dans tous les domaines d’expression et de recherche de l’humanité : artistique, scientifique, philosophique, politique, religieux… Il ne s’agit pas d’obliger qui que ce soit, ni quelque matière que ce soit, mais de s’intéresser, d’interroger pour comprendre, de relever des éclats de sens, de suivre une crête ou un fil, de nouer des images ou de poser des mots sur une divergence. Il n’y a alors pour ce dialogue ni temps réservé, ni lieu à éviter, ni personne à rejeter, ni techniques spécifiques, mais une ouverture quotidienne, une ouverture du quotidien à une poussée vers un avenir différent de ce qui est et sans préjuger de ce qu’il sera. Le dialogue est toujours nouveau : la prise en compte sérieuse et respectueuse du partenaire de dialogue interdit de répéter toujours les mêmes choses de la même manière ; c’est dans l’écoute de l’autre qu’on découvre les mots qui lui répondront, les mots pour lui parler de ce qu’on porte en soi et ce qu’on ignore sur soi. Le dialogue requiert une présence réelle et véritable, en forme à la fois d’accueil et d’offrande, dans une dynamique de passage, de traduction et d’interprétation. Et l’on peut aussi bien découvrir une métaphore d’Évangile dans un mobile fil de fer de Calder qu’un élan de résurrection dans une existence ordinaire.
Évangéliser, annoncer l’Évangile, c’est porter l’émerveillement et la gratitude au […]