Longtemps « diabolisé », vu comme un péché parce que narcissique et gonflé d’ego, on le voit aujourd’hui refleurir dans les rayons des librairies sous les intitulés « bien-être », « estime de soi », etc.
Et si l’on a pu prétendre le contraire, s’aimer soi-même n’est pas de l’égoïsme. Cela n’a ni le sens de « moi avant les autres », ni le sens d’un narcissisme mal placé.
S’aimer soi-même, ce n’est pas ce péché qui nous fait nous élever au rang d’un dieu à notre propre regard, ce n’est pas se recourber sur soi en devenant son propre horizon.
S’aimer soi-même, c’est accueillir la création de Dieu, les dons et les faiblesses qu’Il a déposés en nous. C’est être fort en acceptant ses fragilités, se faire petit enfant face au Père aimant. C’est aussi s’écouter, prendre soin de soi, se ressourcer. Et c’est seulement en accomplissant cela que l’on pourra alors se tourner vers autrui et agir de la même manière envers lui qu’envers nous-même. C’est ainsi que l’on pourra lui apporter l’amour, le soutien et la fraternité dont tout homme a besoin.
Le pasteur Antoine Nouis écrit, dans son Catéchisme protestant : « Écoute tes désirs les plus légitimes et exauce-les pour ton prochain ». Être aimé, vivre libre et en paix, avoir la liberté de penser et de s’exprimer, être heureux, etc. Ce que je désire le plus, je dois tout faire pour l’apporter à mon prochain. Nous connaissons tous l’adage « Ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse ». Notre foi en est le versant positif : « Fais à autrui ce que tu voudrais qu’il fasse pour toi ». C’est ce que l’on retrouve notamment dans la philosophie de l’un des grands penseurs protestants, Emmanuel Kant.
S’aimer soi-même est donc le meilleur chemin pour aimer son prochain. C’est également un bon chemin pour aimer Dieu. En effet, comment prendre du temps en tête à tête avec Dieu, dans la prière, si l’on ne peut pas être en tête à tête avec nous-même ? Si je passe mon temps à me dénigrer, à m’agacer de toutes ces choses que je n’aime pas en moi, mon quotidien risque vite de devenir une fuite en avant. J’y craindrais toujours de me poser, face à moi-même, pour faire le point et réfléchir. Et comment alors réussir à me poser pour prier et dialoguer en vérité avec mon Seigneur ?
Si je ne m’aime pas moi-même, au fond je n’aime pas Dieu. Si je me dénigre, je dénigre la création divine, et donc Dieu lui-même. Ne pas m’aimer est en quelque sorte un reproche adressé à Dieu : « Pourquoi m’as-tu fait ainsi, avec tous ces défauts et toutes ces choses que je déteste ? ». C’est finalement accuser Dieu d’avoir fait une erreur.
Dans la même perspective, ne pas aimer mon prochain, c’est reprocher à Dieu son erreur dans la création de cette personne. Bien évidemment, on ne peut légitimement reprocher à Dieu les actes mauvais d’un individu. Il faut cependant dissocier l’acte de la personne. Je peux m’opposer à un acte que je juge inadéquat, inopportun, mauvais ou illégal, mais il est nécessaire que je n’oublie pas que l’auteur de cet acte est, lui aussi, un enfant de Dieu, un enfant aimé du Père. Et qui serais-je alors pour lui refuser mon amour fraternel ?
Et quel plus bel exemple de la difficulté d’aimer son prochain quand ses actes nous attristent ou nous effrayent, que celui des apôtres face à Saul (Actes 9, 26). Nous y voyons que les disciples du Christ ont tout le mal du monde à aimer Saul, lors de son retour à Jérusalem après sa conversion sur la route de Damas. Pour les disciples, Saul est encore le prochain difficile à aimer, celui qui les a persécutés, qui a mis à mort Etienne, qui « respirait encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur » (Actes, 9, 1). Et pourtant ils sont appelés à l’aimer comme un frère.
Cet exemple nous permet de comprendre que la tâche est difficile, puisque les disciples eux-mêmes, les plus proches de Jésus, ceux qui l’ont connu et ont vécu avec lui, ont du mal à mettre cela en pratique. Mais cela doit nous pousser, comme eux, à nous interroger, à toujours remettre nos actes en question, à progresser dans notre cœur.