Chaque année, à l’approche d’Halloween, on voit surgir dans les vitrines et les rayons d’à peu près tous les magasins des citrouilles, des fantômes et des araignées, des déguisements plus ou moins macabres, des décorations qui mêlent lanternes, têtes de mort et autres accessoires sanglants… Pas toujours du meilleur goût, pourtant, les enfants en raffolent. La série « Wednesday /Mercredi » qui met en scène la sinistre mais drolatique Famille Adams cartonne dans sa version actualisée par Tim Burton. Un réalisateur qui n’est pas en reste pour avoir mis en image personnages fantastiques et histoires qui font frissonner : Beetlejuice, Sleepy Hollow, Miss Peregrine et les enfants particuliers… Et je vous conseille fortement « Ghosts », une série mignonette qui raconte la vie de gentils fantômes bloqués dans notre réalité et qui hantent une maison bourgeoise dont a hérité un couple de Newyorkais.
Mais à quoi ça rime ? Se faire peur, faire peur aux autres ou tourner la mort en dérision sont des attitudes salutaires, contrairement à ce qu’elles pourraient laisser croire.
Contrôle et bien-être
De toutes les émotions, la peur est celle qui est la plus essentielle à notre survie. Elle est la plus familière aussi, en lien direct avec notre besoin de sécurité. Elle a donc toute son utilité, même si elle est inconfortable à vivre. Mais la peur que nous recherchons quand nous lisons un thriller terrifiant, écoutons un podcast sur un fait divers sanglant ou regardons un film qui nous fait sursauter toutes les deux minutes est une peur ludique.
Des chercheurs américains ont montré que l’attrait d’Halloween, par exemple, tient au fait que cette peur-là surgit dans un cadre connu, annoncé, presque prévisible ce qui permet de vivre l’émotion sans en subir les conséquences réelles. On choisit de s’exposer à la peur, tout en sachant que « tout va bien ». Cette ambiguïté est une première clé : je sens l’adrénaline, je perçois l’accélération de mon cœur, mais je maîtrise l’environnement.
Et la seconde raison tient à « l’après ». Car quand nous ressentons de la peur, dans un cadre maîtrisé, note cerveau déclenche une réaction qui débute avec la libération d’adrénaline mais se termine avec la production de cortisol et surtout d’endorphines – les molécules naturelles du bien-être. Le soulagement qui suit un moment où nous avons eu peur procure un bien-être intense – physique et psychologique, comme quand on sort d’un manège qui nous a retourné dans tous les sens. C’est une peur « délicieuse ».
Les adolescents adorent tout particulièrement avoir peur, et encore plus en groupe. Se faire un « train-fantôme », organiser une murder-party, aller voir un film d’horreur permet de tester la résistance des uns ou des autres, tout en se soutenant mutuellement. Cette peur mise en scène permet de la tourner en ridicule collectivement, et sans doute de la minimiser, dans un côté trompe-la-mort. C’est sans doute la conduite à risque la moins dangereuse.
Apprivoiser ce qui nous échappe
Chercher à avoir volontairement peur ou à faire de la mort un sujet de dérision peut être une manière de dépasser ce mystère qui terrifie les hommes depuis la nuit des temps. Halloween, ou le Dia de Muertos – le jour des Morts – au Mexique, transforme le quotidien en terrain de jeu pour l’imaginaire, l’étrange, le transgressif. Ces deux fêtes côtoient la Toussaint, dans l’idée d’honorer ceux qui sont partis, mais aussi de toucher du doigt l’inconnu en interrogeant ce voile qui sépare la vie et la mort. Ce qui est interdit ou habituellement inquiétant devient temporairement permis.
On se lâche, pour expérimenter le frisson sans réel danger puisque l’on sait qu’on restera quoi qu’il en soit du côté des vivants.
C’est une exploration symbolique de nos peurs, sans en subir les conséquences réelles. Jouer avec la peur de la mort, c’est chercher à l’exorciser pour mieux célébrer la vie.
Avoir peur… jusqu’où ?
Finalement, on pourrait se demander s’il est sain d’aimer avoir peur. La réponse est affirmative, à condition que le jeu soit encadré et choisi, et c’est le cas quand on contrôle l’environnement, quand on partage l’expérience et quand on peut la vivre dans un lâcher-prise joyeux. Les enfants peuvent avoir envie de prendre part à Halloween, puis se sentir paralysés une fois leur déguisement enfilé – ou à la vue de celui des autres. Inutile d’insister, ni de les forcer, en leur disant qu’il faut qu’ils soient « forts ». Cette limite n’est d’ailleurs pas valable que pour les enfants ! Chacun a le droit de dire à partir de quel moment il veut arrêter le jeu, ou où est sa limite. La peur est une émotion trop fondamentale pour plaisanter avec ses conséquences. Mais jouer avec la peur peut être l’occasion de parler de ses peurs, de les exprimer et de se sentir soutenu.
Au final, plus le déguisement ou la mise en scène sont exagérés ou grotesques et plus ils s’éloignent d’un réalisme angoissant. Préparez donc votre plus belle fête d’Halloween, sans oublier de forcer le trait pour en faire un moment le plus distrayant possible.