A l’occasion d’un colloque (1998), le pasteur concordataire se confronte à la figure iconique d’Albert Schweitzer, théologien et médecin alsacien.

Un théologien ignoré par les siens

Qu’il s’agisse de théologie, de musicologie, d’éthique, de philosophie, d’histoire des religions, de mystique, d’aventures africaines, la vie d’Albert Schweitzer (1875-1965) est suffisamment riche pour que nous soyons quelques-uns de par le monde à y trouver matière à admiration.

Même en France, où son œuvre est mal connue, on a quand même entendu parler du prix Nobel de la paix ; on sait aussi que le docteur Schweitzer a fondé un hôpital quelque part en Afrique; on connaît sa silhouette immortalisée par de grands photographes et on l’associe parfois également au combat contre le nucléaire.

Mais les Français savent peu de chose sur son œuvre écrite et ses ouvrages sur le Nouveau Testament sont à peu près ignorés. Et pourtant, si l’on tient compte de la chronologie, Albert Schweitzer fut d’abord un acteur majeur de la scène néotestamentaire allemande (donc mondiale) notamment grâce à son ouvrage sur l’histoire des recherches sur la vie de Jésus : Von Reimarius zu Wrede. Eine Geschichte der Leben-Jesu Forschung (1906, édition définitive 1913, jamais été traduit en français). Et c’est par ce biais que j’aimerais aborder le caractère, me semble-t-il, irrémédiablement protestant de la trajectoire schweitzerienne.

Que Schweitzer soit de confession protestante, c’est un fait qui ne souffre aucune contestation. Fils de pasteur, pasteur lui-même, Privatdocent à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, son enracinement protestant est solidement attesté. Toutefois, un enracinement sociologiquement protestant n’implique pas obligatoirement une trajectoire biographique théologiquement protestante.

Le principe protestant  

Ce double usage de l’adjectif protestant, sociologique ou théologique, renvoie à la distinction opérée par le théologien américain d’origine allemande Paul Tillich, entre d’une part la « réalité protestante » et d’autre part le « principe protestant ».

La « réalité protestante » relève de la sociologie. Ainsi, la décision d’un synode d’Eglise protestante sera d’emblée qualifiée de « protestante », même si elle contredit une affirmation théologique fondamentale de la Réforme. Autrement dit, la réalité protestante, c’est ce que font les protestants.

Le « principe protestant » relève de la philosophie ou de la théologie. C’est un principe essentiellement critique. Ce principe entend faire œuvre de vérité en s’élevant « contre la prétention de toute forme finie à incarner l’absolu » (2). Le principe protestant peut entrer en contradiction avec la réalité protestante; ce n’est pas parce qu’un synode prend une décision que cette décision est conforme au principe protestant. Les prophètes de l’Ancien testament sont l’exemple type d’une manifestation du principe protestant dans l’histoire.

Cette notion de principe protestant se trouve dans de nombreux textes de Paul Tillich notamment dans un article de 1931 (en allemand), repris en 1948 (en anglais), intitulé : « Principe protestant et situation prolétarienne ». Ce texte critique l’attitude des Eglises allemandes accusées de ne pas avoir su prendre la mesure de la situation des ouvriers et d’être restées du côté de la bourgeoisie.

Ce texte comprend, indépendamment de son sujet, une définition du principe protestant qui, à mon sens, éclaire la trajectoire schweitzerienne. « Le protestantisme, écrit Paul Tillich, a un principe qui se situe par-delà toutes ses réalisations. Ce principe est la  […]