Le constat est évident : la musique est une pratique universelle et intemporelle dans toutes les religions[1]. Grâce à elle, et notamment par le chant, les paroles sont transfigurées et l’être même est élevé à un plan supérieur. Toute l’histoire du christianisme est rythmée par la pratique musicale, tant bien que musique et foi sont extrêmement liées. Plus encore que les autres arts, la musique occupe une place majeure dans la pratique religieuse et plus particulièrement la louange, l’adoration, voire la contemplation, et l’étude des Ecritures.
La Bible nous apprend que la musique sert à exprimer la joie et la gloire de Dieu bien avant la création de l’humanité[2]. Ainsi, Dieu ayant fait l’Homme à son image[3], il n’est pas étonnant que nous éprouvions le besoin de musique et, plus encore, le besoin incessant de créer. Pourtant, l’évolution de la musique, de sa pratique et de sa fonction, est loin d’être linéaire. Bien qu’elle soit souvent fruit de l’inspiration, la musique suit l’évolution des relations entre les Hommes et Dieu, ainsi que de leurs interprétations de la Parole. Avec le recul et l’étude de l’Histoire – étonnamment cyclique –, nous comprenons que sa pratique manifeste les hauts et les bas de notre foi et de nos sociétés et nous offre ainsi des pistes de réflexions aussi anciennes que fondamentales.
Il est déjà aussi étonnant que merveilleux de découvrir que la Bible place la musique comme un besoin élémentaire à la survie de l’Homme, comme une des caractéristiques de la fine intelligence qui le rend supérieur aux animaux, au même titre que l’agriculture et l’artisanat : Jubal, deuxième fils de Lémec (arrière-arrière-arrière-petit-fils de Caïn), est identifié comme le père de tous les musiciens[4]. On sait que les Israélites eurent pour ordre de Dieu, par Moïse, que la musique devait accompagner l’exercice du culte[5] ainsi que lors des moments de fêtes[6]. On sait également que les juifs accordaient une place très importante à la musique, bien davantage que d’autres arts – la peinture et la sculpture semblant même absolument absentes de la culture israélite. Il leur était fréquent de chanter toute la nuit des cantiques et d’autres chants[7]. La liturgie du sabbat était déjà très organisée, avec des psaumes précis chantés à des moments précis de la journée. La manière même de chanter était structurée : on distingue ainsi la psalmodie, le chant responsorial (un chœur répond à un soliste), le chant antiphoné (deux chœurs se répondent) et la cantillation (lecture des textes avec une prononciation mettant en valeur les voyelles de chaque mot). Le roi David est évidemment la figure par excellence du chantre de l’Eternel. Dans son travail d’organisation complète de la liturgie, il exige une véritable armée de chantres responsables de la louange[8].
Fort malheureusement, il n’existe aucun enregistrement de ces chants. Néanmoins, quelques fervents ont veillé à la préservation du patrimoine sacré et ont annoté les textes de « tropes » dans les cantillations, prémices des notations musicales que l’on peut rapprocher de la chironomie égyptienne[9]. On doit à Suzanne Haïk Vantoura un ouvrage très complet sur le sujet, La musique de la Bible révélée[10], accompagné d’un enregistrement de reconstitutions.
[1] WILSON-DICKSON Andrew, Histoire de la musique chrétienne. Du chant grégorien au Gospel noir, Paris Brepols, 1994, p.13 : « Dans presque toutes les religions du monde, la musique est au service de la religion. »
[2] Job 8.4-7 : « Où étais-tu quand je fondais la terre ? […] Alors que les étoiles du matin éclataient en chants d’allégresse, et que tous les fils de Dieu poussaient des cris de joie ? »
[3] Genèse 1.27 : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. »
[4] Genèse 4.19-22 : « Lémec prit deux femmes : le nom de l’une état Ada, et le nom de l’autre Tsilla. Ada enfanta Jabal : il fut le père de ceux qui habitent sous des tentes et près des troupeaux. Le nom de son frère était Jubal : il fut le père de tous ceux qui jouent de la harpe et du chalumeau. Tsilla, de son côté, enfanta Tubal-Caïn, qui forgeait tous les instruments d’airain et de fer. »
[5] 1 Samuel 10.5 : « En entrant dans la ville, tu rencontreras une troupe de prophètes descendant du haut-lieu, précédés du luth, du tambourin, de la flûte et de la harpe et prophétisant eux-mêmes. »
[6] Nombres 10.10 : « Dans vos jours de joie, dans vos fêtes, et à vos nouvelles lunes, vous sonnerez des trompettes, en offrant vos holocaustes et vos sacrifices d’actions de grâces, et elles vous mettront en souvenir devant votre Dieu. »
[7] Philon d’Alexandrie (c. 20 av.J.-C. – c. 45), La vie de Moïse, Paris : Adrien Turnèbe, 1554.
[8] 1 Chroniques 23.2-5 : « David assembla tous les chefs d’Israël, les sacrificateurs et les Lévites […] et dit : Qu’il y en ait […] quatre mille chargés de louer l’Eternel avec les instruments que j’ai faits pour le célébrer. »
[9] HICKMANN Hans, « Une scène de musique Pharaonique (Analyse iconographique) » in Revue belge de Musicologie, Vol.10 n°1/2, Société Belge de Musicologie, 1956, p.18-28.
[10] HAÏK VANTOURA Suzanne, La musique de la Bible révélée, Paris : Dessain et Toina, 1978.