En tant que chrétien, la question n’est pas moins présente que pour tout autre être humain doté d’intelligence et de sensibilité. Parce que la grandeur de la Création nous dépasse ; parce que la compréhension de ce qu’est pleinement Dieu n’est pas pour nous une évidence, voire même pas du tout accessible par nos seules capacités humaines, nous cherchons tous, d’une manière ou d’une autre à poser correctement notre Question (qui est plurielle) pour être, peut-être, correctement répondre. A travers cette étude en deux actes et six scènes, nous découvrirons, grâce à l’analyse d’œuvres musicales du XXe siècle, différentes pistes de réflexion pour chercher la Question et (qui sait ?) une once de Réponse.
Acte I – Ce qui nous entoure
Scène 2 – Autour
Les bruits. Ces sons qui nous entourent et qu’on ne comprend pas. Ces parasites qui envahissent notre quotidien jusqu’à nous assourdir. Ces distractions qui nous empêchent d’entendre et qui ne nous donnent plus envie d’écouter. Ces ondes aussi désagréables que omniprésentes qui nous fatiguent. Ces voix sans valeurs qui pourtant nous effraient. Le bruit nous est souvent synonyme de chaos. Cependant, il nous entoure toujours, partout. Nous sommes même les premiers producteurs des bruits qui nous accompagnent chaque jour. Les bruits, nous les subissons car, d’abord, nous en sommes l’une des causes. Ils font indéniablement partie de nous et de notre monde. Sont-ils mauvais pour autant ? S’ils sont souvent désagréables, ils nous sauvent tout aussi souvent. Ils attirent notre attention sur les dangers. Si le bruit d’un klaxon est particulièrement désagréable à notre oreille, c’est ainsi qu’il nous prévient du danger potentiel. Parfois, trop souvent, parce que le bruit était absent ou parce que l’on n’a pas su écouter, cela coûte jusque la vie. On fait également du bruit lorsque nous sommes heureux et que nous célébrons tous ensemble. Du bruit, on en fait aussi lorsque l’on veut se faire entendre, lorsque l’on souffre et que l’on est en colère.
Parmi les citations les plus célèbres que l’on prête à Victor Hugo, il y a celle-ci : « La musique, c’est du bruit qui pense. » Mais alors, la musique serait-elle une révélation des pensées cachées par le bruit ou la mise en bruit des pensées ? Pour pouvoir répondre à cette question, sans doute nous faudrait-il étudier nos pensées ou les bruits. La pensée est étudiée depuis que l’homme pense. Par contre, il semble que le bruit soit devenu encore plus présent lors des tout derniers siècles. Les révolutions industrielles ont fait apparaître une multitude de bruits qui n’existaient pas alors et qui sont devenus familiers de notre quotidien.
Pierre Schaeffer (1910-1995), ingénieur et compositeur, a expérimenté les nouvelles technologies d’enregistrement et de radiophonie tout en se posant des questions quant aux objets sonores. C’est ainsi qu’il crée en 1948 ses Cinq études de bruits. Par ses expérimentations et ses réflexions, Schaeffer distingue les éléments dramatiques et évocateurs de ceux qui, à ses yeux, sont porteurs de véritables valeurs musicales. L’idée ne serait donc pas que la musique est bruit qui pense, mais que le bruit est musique. Le bruit est porteur d’un sens, d’une pensée, que l’on ne peut comprendre que si l’on s’y intéresse.
Certes, le bruit n’est souvent ni beau ni agréable. Pour autant, l’expression qu’il véhicule est la nôtre, celle que nous laissons échapper du fond de soi. Certains même diront que le bruit est déjà l’expression de nos pensées les plus superficielles, les mots n’étant, en fin de compte, que du bruit. Il est vrai que tout jeune, on fait beaucoup de bruit, sans discrimination de timbre ou de volume. Nos parents, notre entourage, l’école… nous apprennent alors à organiser ces bruits, à les rendre cohérents dans et pour l’espace sociétal dans lequel on vit, et ainsi à être capables, par une communication et un comportement adéquats, d’y vivre en harmonie. Ainsi, tout va bien dans le meilleur des mondes ! Si seulement…
Si seulement tous nos mots étaient capables d’exprimer nos joies ou nos détresses. Combien de fois avons-nous crié, estimant que le cri est le seul moyen d’approcher l’expression de nos émotions. Nombre d’entre nous ressentent parfois que, quand ça bouillonne à l’intérieur de soi, le silence ne soit pas pertinent et qu’il soit important de se faire entendre. Cependant, on nous demande souvent de nous taire. Moi le premier, ayant en horreur le bruit et les cris – je dois vous l’avouer, j’ai souvent demandé voire imposé le silence. Alors que, dans d’autres cas, j’ai estimé que je ne pouvais plus me restreindre et que je devais élever la voix pour me faire entendre.
Il est certes très malheureux que ce mode de communication soit parfois le seul efficace. Lors de mes quelques années d’enseignement, j’ai bien remarqué que certains de mes élèves ne semblaient pas connaître une communication claire et douce pour exprimer leurs interrogations ou leurs incompréhensions. C’est assurément manifeste d’une utilisation inappropriée du cri dans nos quotidiens – il serait trop facile, voire injuste, de réduire ce comportement à la seule éducation, de nombreux paramètres environnementaux (familles nombreuses, confrontations culturelles, timidité mal gérée, incompréhensions récurrentes…) et parfois physiques (surdité) devant être pris en considération.
Il n’en est pas moins important de pouvoir, parfois, élever la voix. Il est dangereux, quand les émotions nous submergent, de ne pas pouvoir se confier. Il est salutaire, quand les injustices nous oppressent, de pouvoir se faire entendre. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on sera compris, ou que nous allons comprendre. C’est sans doute le travail auquel nous invite Pierre Schaeffer : prendre le temps d’écouter différents bruits qui nous entourent, aussi désagréables qu’ils puissent nous paraître, d’éventuellement d’essayer de les comprendre, avec nos propres facultés. Peut-être qu’ainsi nous saurons entendre nos bruits intérieurs. Peut-être qu’ainsi nous saurons entendre les cris de ceux qui souffrent.