En tant que chrétien, la question n’est pas moins présente que pour tout autre être humain doté d’intelligence et de sensibilité. Parce que la grandeur de la Création nous dépasse ; parce que la compréhension de ce qu’est pleinement Dieu n’est pas pour nous une évidence, voire même pas du tout accessible par nos seules capacités humaines, nous cherchons tous, d’une manière ou d’une autre à poser correctement notre Question (qui est plurielle) pour être, peut-être, correctement répondue. A travers cette étude en deux actes et six scènes, nous découvrirons, grâce à l’analyse d’œuvres musicales du XXe siècle, différentes pistes de réflexion pour chercher la Question et (qui sait ?) une once de Réponse.

Acte I – Ce qui nous entoure

Scène 1 – Pas si loin

Pour débuter notre recherche de formulation et de compréhension de la Question, étudions d’abord notre environnement. Etudions ce qui nous entoure, ce qui nous est proche, plus proche qu’on ne pourrait le penser.

L’enseignant et théologien Alfred Kuen reconnaît dans un de ses ouvrages que la musique du XXe siècle, en l’occurrence le Jazz, exprime les profondeurs de notre recherche dans le pourquoi de la vie, et particulièrement de nos échecs : « Les mélodies disjointes [du Jazz] parlaient déjà d’un monde déchiré à la quête d’un sens. »

Pourtant, l’homme n’est pas le seul être doué de musicalité. La musique est aussi le moyen privilégié de communication des animaux, et particulièrement des oiseaux. La récente période de confinement nous a d’ailleurs, pour beaucoup de citadins, en nous imposant de faire silence, rappelé l’omniprésence du chant des oiseaux, de leur diversité et de leur complexité. Entre autres, l’Évangile de Matthieu nous encourage à observer les oiseaux. S’il n’a pas été le premier à s’en inspirer – on a sans doute en tête la Symphonie n°83 « La Poule » de J. Haydn, Symphonie n°6 « Pastorale » de L. van Beethoven ou le « Coucou au fond des bois » du Carnaval des animaux de C. Saint-Saëns –, le compositeur Olivier Messiaen (1908-1992) fut particulièrement fasciné par le chant des oiseaux. Plus que de s’en inspirer pour quelques effets ou mélodies pour certaines de ses œuvres, il en a fait tout un catalogue d’études musicales.

Catalogue d’oiseaux – Premier livre d’Olivier Messiaen par Yvonne Loriod.

Olivier Messiaen avait une réelle passion pour les longues randonnées en montagne. Quand on voit les paysages insaisissables de la Meije, montagne des Hautes-Alpes, et des glaciers qui surplombent le village de La Grave, on ne peut que comprendre et partager son admiration pour la nature. C’est lors de ses promenades que, entre les années 1956 et 1958, il a patiemment étudié le chant des oiseaux et en a méticuleusement noté les mélodies. Plus encore, parce que le compositeur avait une sensibilité toute particulière à la couleur, il a tâché d’en saisir toutes les subtilités harmoniques. Comme presque pour toute l’œuvre de Messiaen, son travail monumental (près de trois heures de musique) donne naissance à des pièces musicales qui semblent complètement hors de notre temps.

La Meije

Les pièces de ce catalogue sont comme les oiseaux, libres. Leurs mélodies sont libres de toutes formes, de tous symboles de la cohérence ou de la logique. Messiaen n’a fait que les écouter et les interpréter, alors qu’il se promenait en suivant son propre chemin. Il a simplement pris modèle sur ces beaux – parfois étonnants – animaux ailés pour prendre sa liberté. Une liberté qui est tout aussi naturelle que nécessaire : l’évangéliste ne nous dit pas : « Regardez les oiseaux : ils s’activent pour leur survie et suivent scrupuleusement les chemins qui ont été tracés pour eux dans le ciel. » Bien au contraire ! Combien de fois prenons-nous comme exemple les oiseaux lorsque l’on parle de liberté ?

Le Chocard des Alpes

Il est certain que la définition de liberté diffère grandement selon sa culture et sa propre personnalité. Toutefois, ici, on peut comprendre que nous n’avons pas à suivre des chemins tout tracés. Il n’y a pas de règles imposées. Seule la confiance en l’amour du Père est vraiment nécessaire. Elle suffit à nous emmener vers ce que nous sommes et ce que nous devons être. Pourtant, la plupart d’entre nous vivons sous le règne du vouloir. L’artiste, en proposant de se dégager des formes qui lui étaient imposées, nous montre sans doute, à sa façon, qu’il est néanmoins possible de se comprendre, non seulement en observant la création, mais également en se libérant du vouloir.

Car, fondamentalement, peu importe ce que nous voulons être ; plus encore, peu importe ce que la société, l’humanité… bref, les autres veulent que nous soyons : seul nous importe Dieu, et son amour.