Diamant brut ouvre réellement la compétition cannoise en ce mercredi. Si le Dupieux hier soir abordait, avec sarcasme, tous les sujets « touchy » du moment, le premier long-métrage d’Agathe Riedinger choisit, lui, de se fixer sur un phénomène contemporain : ce rêve dérangeant de quitter une misère sociale par le biais de la télé-réalité ou en « influençant », avec tout ce que cela comporte d’interrogations profondes, autour de l’étalage de la beauté, du paraître, au nom d’une pseudo liberté…
Liane, 19 ans, téméraire et incandescente, vit avec sa mère et sa petite sœur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour « Miracle Island ».
Le regard de la réalisatrice, à la fois critique et bienveillant
« Je regarde la télé-réalité qui ne montre que le talent « d’être soi » et je la revendique même comme un sujet d’étude passionnant. Et je dénonce de tout mon cœur le mépris de classe, l’hypersexualisation de la femme et le sexisme qu’elle affiche, la culture du viol qu’elle alimente, les valeurs conservatrices et ultra-consuméristes qu’elle prône. » C’est ainsi qu’Agathe Riedinger explique son attitude globale face à ce phénomène actuel qui fabrique des stars sur base d’un narcissisme exacerbé. Dans le même temps elle reconnait comprendre tout cela, par le fait « que la réussite telle que le capitalisme l’a toujours définie n’est plus uniquement réservée aux élites », cela ouvrant alors une forme d’espérance à une jeunesse de ce temps.
C’est ce que raconte Diamant brut, au-travers de l’histoire de Liane, interprétée brillamment par Malou Khebizi, une jeune femme de 19 ans habitant le sud de la France. Après un passage en foyer, confiée par sa mère esseulée, elle retourne chez elle et s’occupe de sa petite sœur. Liane vole à l’étalage et revend les marchandises volées, ce qui lui a permis de payer son opération de pose d’implants mammaires.
« Miracle Island »
Elle traîne avec ses amis, se saoule, mais demeure vierge dans une posture catholique affichée ; elle a des milliers de followers sur son Insta. Puis un « miracle » se produit : une productrice de télé-réalité à qui elle a envoyé une vidéo lui demande de passer une audition. Liane est sur le point d’accéder à son rêve de célébrité et de richesse en intégrant l’Xième saison de Miracle Island, un programme de télé-réalité où sex et buzz sont les fondamentaux. C’est le début d’un nouveau chapitre pour notre aspirante célébrité. Se sentant plus proche de la réalisation de ses rêves, Liane décide de s’approprier son destin de manière plus concrète…
Un film plutôt convaincant qui nous plonge dans cet univers qui peut sembler si difficile à comprendre et qui, pourtant, dit beaucoup de notre société.
Alors j’avoue… je n’ai pas compris toutes les expressions, tous les dialogues et je reste très dubitatif… mais Diamant brut parvient à traiter des thématiques complexes qui sous-tendent tout cela avec caractère, intensité et de bons choix cinématographique. C’est le choix du format 4/3 par exemple, le son du violoncelle qui accompagne et apporte une réelle gravité au personnage de Liane ou encore une photographie très contrastée.
Un ensemble de choses qui confine au regard une importance de tout premier ordre. Bien sur le mien, celui du spectateur qui n’ai jamais conduit à devenir voyeur ou juge… mais beaucoup d’autres encore comme le défend Riedinger : « Le regard de la société sur Liane, le regard amour / haine de son public numérique, le regard de dépit qu’elle a pour ses amies et sur les hommes. Et bien sûr, le regard fasciné qu’elle pose sur les icônes de télé-réalité ou des réseaux sociaux. Mais par-dessus tout, Liane cherche le regard de sa mère, ce regard originel qui fait que l’on se sent reconnu. »
Transformer la fragilité en puissance
Très clairement, ce Festival semble nous conduire dans une observation d’un monde curieux et quelque peu effrayant dans lequel nous vivons, même si la jeune réalisatrice fait aussi le parallèle avec des temps plus anciens, puisque son premier court-métrage se situait au XIXe siècle avec une autre Liane, une « cocotte » comme on disait autrefois… « Comme les cocottes, ces jeunes femmes aux origines modestes connaissent une ascension sociale fulgurante, giflent la bien-pensance de notre époque, célèbrent sans limite le culte de soi, soulèvent les passions et remettent en question la définition d’une « vraie femme ». Elles racontent, d’un siècle à l’autre, l’histoire d’un « sexe faible » qui devient fort en transformant sa fragilité en arme de puissance, tout en présentant les trois facettes auxquelles la femme est encore trop assujettie : la vierge, la mère et la putain. »