C’est une demeure tout ordinaire. Deux étages agrémentés d’un jardinet, protégés par une grille gris pâle, à Caluire, commune de la banlieue de Lyon. Rien de formidable en vérité. Mais c’est là que, le 21 juin 1943 fut arrêté Jean Moulin. Voilà pourquoi la maison du docteur Dugoujon, du nom de ce médecin qui abrita la réunion clandestine de la Résistance, tient dans notre mémoire collective une place particulière.
Funeste rendez-vous de l’Histoire. Depuis toujours on pose la question : qui a trahi, livré Jean Moulin et ses compagnons à la Gestapo ? Bien qu’il ait été acquitté deux fois par les tribunaux, René Hardy peut être considéré comme le probable coupable. Mais une telle phrase, par le doute qu’elle comporte, révèle à quel point la vérité peine à être admise, encore aujourd’hui. Les résistants du mouvement Combat – dont René Hardy était proche – les antigaullistes et quelques hurluberlus friands de complots se sont tellement multipliés que, rabouilleurs du passé comme il en est des rivières, ils ont fait croire à l’impossible, et troublé nombre de Français. Nous ne pouvons en quelques lignes trancher le débat.
L’enquête menée par Daniel Cordier – accompagné par l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon – publiée dans le livre « Jean Moulin, la République des Catacombes » (Gallimard, 1008 p. 32,50 €) confronte les sources, les hypothèses, et permet de comprendre ce qui s’est produit.
Mais revenons à Caluire. « Nous avons voulu concevoir ce mémorial de la façon la plus simple possible, respecter l’authenticité des lieux, nous explique le porte-parole de la Mairie de Caluire-et-Cuire. Vous entrez dans cette demeure comme vous entrez dans n’importe quelle autre. Mais le fait de savoir que cela s’est passé là transforme tout. Visuellement, il n’y a rien d’extraordinaire. Mais l’émotion vous saisit d’emblée, physiquement. Nous avons récupéré les fauteuils d’origine, que le docteur Dugoujon avait confiés au Centre d’Histoire et de la Résistance (CHRD) et que cette institution a mis à notre disposition. »
Au sous-sol, une salle multimédia donne aux visiteurs – et notamment les élèves des écoles, collèges et lycées – la possibilité de consulter des archives, des photos, des vidéos. L’ancienne salle d’attente et le bureau du docteur (où devait se dérouler la réunion) sont ornés des portraits des résistants qui furent capturés par la Gestapo : André Lassagne, du 2ème bureau de l’Armée Secrète (AS), Henri Aubry, de l’Etat major de l’AS, le colonel Lacaze, chef du 4ème bureau de l’AS, Bruno Larat, de « La France combattante », René Hardy, de « Combat », Raymond Aubrac, chargé des groupes para-miliaires à « Libération-Sud », le colonel Schwartzfeld, membre du groupe « France d’abord », enfin Jean Moulin dont nous rappelons qu’il était le représentant personnel du général de Gaulle et, à ce titre, chef du Conseil National de la Résistance.
« Caluire est totalement imprégnée par l’histoire de la Résistance, ajoute notre interlocuteur à la Mairie. Outre une école, une rue, nombre de commerces portent le nom de Jean Moulin. Nous avons de surcroît baptisé l’un de nos carrefours « Le rond point des Justes parmi les Nations », au milieu duquel se trouve le square Gilberte et Jean Nallit, ce dernier ayant lui-même été distingué comme Justes parmi les Nations. Nous avons donc un attachement très fort au devoir de mémoire. La fille du docteur Dugoujon, les filles et petites-filles et arrières petits-enfants d’André Lassagne, le petit-fils de Raymond Aubrac étaient présents cette année lors de la commémoration du 21 juin 1943. » Funeste rendez-vous de l’Histoire, oui, puisque c’est là que Jean Moulin fit ses derniers pas d’homme libre.
La liberté… Jean Moulin disait qu’elle était le baptême des républicains. Si tout le monde sait que le fédérateur de la Résistance intérieure avait été préfet, le grand public ne découvre que depuis quelques temps quel passionné d’art il était.
« Depuis son enfance, il adorait dessiner, nous a déclaré Bénédicte Vergez-Chaignon, qui vient de publier « Jean Moulin alias Romanin » (Michel Lafon 160 p. 29,95 €). Durant l’entre-deux guerres, il a pratiqué le dessin de presse comme un second métier, croquant de manière amusante mais souvent tendre les travers de ses contemporains – les femmes du monde, les artistes d’avant-garde qu’il côtoyait – devenant même collectionneur. »
On aurait pu croire que la guerre allait éteindre en lui cette passion. Pas du tout. Quand il s’est agi de se doter d’une « couverture », il a ouvert une galerie d’art à Nice, épaulé par sa sœur, par l’une de ses nombreuses conquêtes féminines, Colette Pons, mais aussi soutenu par un tout jeune graveur appelé à devenir l’un des grands galeristes et marchand d’art de son époque, Aimé Maeght.
On voit par là que Jean Moulin respirait le grand vent de la création tout autant que celui de la marche du monde. « A la différence du général de Gaulle, il n’a jamais pensé qu’il imprimerait sa marque dans l’histoire de son pays, souligne Bénédicte Vergez-Chaignon. Ce sont les circonstances qui ont fait de lui le héros que nous connaissons. » C’est aussi en cela qu’il peut nous inspirer, nous guider, nous servir de modèle. Un frère.
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