Deux protestants sont dans un bateau. Pourquoi faudrait-il qu’un des deux tombe à l’eau ? Rien n’est fatal… De même, il n’est rien de pénible comme les prétentieux qui vous empêchent de comprendre afin de mieux conserver leur pré carré. Le protestantisme est fondé sur une démarche opposée.
Prenez Jung. Un psychiatre avant-gardiste, helvète, qui devint le dauphin de Freud parce que celui-ci désirait – si l’on ose employer ce verbe en l’occurrence -, ouvrir la psychanalyse à des non juifs. On connaît bien le nom de Jung, mais son œuvre est encore obscure à nombre de nos concitoyens qui ne parcourent pas les rayons des bibliothèques spécialisées. Qu’à cela ne tienne, à ceux-là Frédéric Lenoir donne des clés par un livre épatant, « Jung, un voyage vers soi » (Albin Michel 336 pages, 19,90 €).
« Fils de pasteur, petit-fils de pasteur, entouré d’au moins six oncles pasteurs, on ne peut nier que Carl Gustav Jung ait été élevé dans le protestantisme », nous a déclaré Frédéric Lenoir en souriant. Alors que pour Freud l’inconscient est le lieu du refoulement, de ce qui nous dérange, il est bien autre chose pour Jung : un monde également positif, d’une grande richesse, avec lequel on gagne à dialoguer. C’est par ce dialogue entre conscient et inconscient que nous réalisons notre individuation, c’est-à-dire que nous devenons un individu unique et singulier. »
L’apport de Jung à la culture mondiale contemporaine est considérable. On ne compte plus les notions qu’il a forgées qui nous sont familières : outre le concept d’individuation, retenons l’archétype ou l’inconscient collectif. En préambule de son ouvrage, Frédéric Lenoir écrit ceci : « Jung est pour moi le premier penseur de la postmodernité : il ne récuse pas les vecteurs fondamentaux de la modernité- la raison critique, la globalisation, l’avènement de l’individu-, mais il montre les limites de la raison, les ambiguïtés des progrès technologiques, l’impasse de l’individualisme.» Une invite à la découverte…
La belle énergie que Frédéric Lenoir transmet ne saurait laisser les lecteurs indifférents.
L’avez-vous remarqué ? Lorsqu’une femme ou un homme écrit des livres au grand public destiné, chacun s’en va parlant de vulgarisation. Peut-être faudrait-il imaginer quelque vocable moins péjoratif. Pourquoi pas « popularisation » ? Frédéric Lenoir a certes parcouru des chemins de traverse, il donne souvent l’air de revenir d’un tour du monde à la voile ou d’avoir bu du thé vert au sommet de l’Himalaya simplement vêtu d’un pull griffé, mais c’est un homme sérieux, qui a obtenu les félicitations du jury pour une thèse réalisée au sein de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, sous la direction de Danielle Hervieu-Léger. Voilà de quoi rassurer les ronchons. « Diderot disait qu’il est urgent de rendre la philosophie populaire, ajoute pour nous Frédéric Lenoir. J’ai eu besoin de la recherche académique pour étancher ma soif de connaissances, mais j’ai très vite eu l’envie de transmettre ce que j’avais appris en collaborant à de nombreux journaux, en dirigeant « Le Monde des Religions » ou bien encore en produisant sur France Culture un programme intitulé, comme on s’en souvient, « Les Racines du ciel». Pour moi, ces démarches se complètent. » Où l’on voit que le protestant Jung peut bénéficier d’un apport inattendu mais tout à fait constructif.
Dans un tout autre registre, à la veille du réveillon de Noël, tandis que vous courez les magasins l’esprit tourmenté, nous vous recommandons plus que chaudement d’offrir à ceux que vous aimez « L’art de la fugue » par le pianiste Eric Vidonne (2 CD, label Exordium).
Un artiste de haute volée, bardé de récompenses, et qui, dans un élan qui le distingue des carriéristes à deux sous, choisit de vivre dans son Jura natal. En interprétant l’une des partitions les plus complexes du répertoire, il pourrait jouer du mystère afin d’égarer les néophytes. Au contraire, il éclaire, donne à chaque chant son contrechant d’une façon si naturelle que l’on croit tout comprendre. En n’oubliant jamais que Bach avait le désir de toucher le plus large public- en bon protestant, là encore, Eric Vidonne associe la science et la sensibilité. Si vous ne deviez choisir qu’un seul enregistrement pour les fêtes, il faudrait choisir celui-ci.
Joyeux Noël à tous !