Il est vrai que l’éducation protestante n’est pas une pédagogie très utile pour démêler les fils de ce que la beauté nous inspire. La Réforme a privilégié l’art le plus abstrait qui soit : la musique, en y adjoignant quand même la poésie dans la pratique du chant. Calvin craignait, par-dessus tout, les élans qui pourraient nous déstabiliser : « Il est nécessaire, écrivait-il, que Dieu nous tienne la bride serrée et nous maintienne dans quelque discipline, de peur que nous débordions avec pétulance. » (Institution chrétienne, 3, 8, 5). Un mennonite aurait pu écrire aussi cette phrase ! Comment ensuite déchiffrer les mouvements de nos cœurs ?
En deçà des mots
La beauté qui nous touche nous renvoie très souvent à quelque chose qui est en deçà du langage : le rythme d’une peinture ou d’une mélodie, une image évocatrice, les sons que forment les mots indépendamment de leur sens, une forme, une couleur, une vibration. Dans le Psaume 19, David contemple les cieux et, soudain, les mots lui manquent : « Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles … » (Ps 19.4). Or ce domaine d’en deçà des mots s’ancre dans une période très primitive de notre vie, où notre sens moral n’était pas encore formé, et où s’entremêlaient des élans aussi bien admirables qu’inquiétants. Revenir visiter ces territoires lointains n’est pas anodin. Mais c’est aussi là que l’Esprit nous rejoint par « des gémissements non verbalisables » (Rm 8.26). […]