Quand quelqu’un parle d’une façon qui nous paraît authentique, on a coutume de dire qu’il s’exprime sans fard. Outre le fait que cette association de l’image et du son confond la forme et le fond, vieille lune des conversations de cafés, pareille tournure mésestime les vertus de la mise en scène. Dire le vrai par le chemin des artifices, on en convient, s’accorde mal aux principes de la Réforme. Il n’en faut pas moins reconnaître qu’une certaine justesse du monde peut se révéler par des moyens détournés. La transcendance, taquine, s’amuse de nos certitudes.
Une bonne fée du cinéma nous en apporte aujourd’hui la démonstration. Maquilleuse, Évelyne Byot connaît tous les trucs pour faire croire à l’impossible: une comédienne conserve son rouge à lèvres intact ou son khôl outre-noire sous une douche froide, un homme de soixante ans paraît quadragénaire pour les bienfaits d’un récit, tel acteur à la peau flasque semble un apollon. Mais elle estime que son métier requiert avant toute chose une touche de discrétion. « Le rôle que je m’assigne est donner bonne allure aux artistes, affirme-telle avec douceur. Qu’ils jouent des malades ou des jeunes gens pleins de santé, grâce à mon travail, ils doivent être agréables à regarder. Bien entendu, le maquillage complète l’action des costumiers, du chef opérateur et de l’éclairagiste ; il est conçu suivant le souhait du cinéaste, en adéquation même avec le sentiment des comédiens. Il contribue, lui aussi, à la fabrication d’un personnage. »
« Moi, moi, moi »
Ici surgit le souvenir de Louis Jouvet, qui s’avouait: « Tu n’as de toi-même aucune connaissance, et le reflet de ton visage dans la glace t’étonne et t’inquiète parfois. Je connais un comédien qui, à ce moment, se répète en se considérant : « moi, moi, moi ». Tu ne peux pas te connaître. » Évelyne Byot, d’un trait de pinceau, d’un nuage de poudre sucrée, fait advenir une créature plus vraie que nature. Elle intervient, certes, à la surface des êtres, mais elle agit en profondeur. Il y a là mieux qu’un paradoxe : une perspicacité mise au service de l’incarnation.
«Il faut trouver l’architecture harmonieuse du visage, explique notre interlocutrice, et pour cela nous devons éviter d’en rajouter- comme on dit. Pour le film Mauvais genre, de Francis Girod, j’ai dû transformer Robinson Stévenin, garçon viril, en jeune fille. C’était passionnant car, au contraire de ce que d’autres avaient été tenté de faire, j’avais choisi de ne pas forcer les traits pour ne pas verser dans la caricature. » En fonction de l’action, le maquillage doit changer. N’est-ce pas le signe de son caractère essentiel ? Qu’une œuvre prenne son sens en fonction des variations de fonds de teint, de mascara, voilà bien la force de l’illusion. « Parfois, il vaut mieux ne rien déposer sur le visage de l’artiste, ajoute en souriant notre interlocutrice. Il faut savoir s’effacer. » Par la grâce des couleurs et des matières, un être s’impose qui se cachait aux yeux de tous, y compris de celle ou celui qui lui prête son corps. « Entre le moment où la comédienne ou le comédien s’installe dans le fauteuil de maquillage et le moment où il le quitte, il se passe quelque chose qui nous dépasse, que je ne saurais définir, mais qui permet à l’artiste d’entrer sur le plateau de tournage en incarnant son personnage, observe Évelyne Byot. Ce passage m’a toujours fascinée. »
Ce jeu n’est pas de dupe. Au contraire, une certaine vérité de notre humanité se manifeste ainsi. Nous aurions tort d’en négliger le poids, de nous en méfier, pis, de la combattre. On a connu, protestante rigoureuse, une comédienne qui pratiquait son art une bible tout près d’elle et, cependant, ne résistait jamais à la tentation de plaire, d’émouvoir ou de faire rire. Elle y mettait peut-être du fard, mais elle y donnait toute sa foi.