Lorsqu’un enfant naît, il est précédé par un certain héritage qu’il reçoit gratuitement, sans aucune autre raison que d’avoir pris la peine de naître. À sa naissance, il reçoit une mère, en général un père, un nom, une famille, un visage, le plus souvent une nationalité… bientôt va s’ajouter à ces dons une langue pour parler et pour penser, pour chanter et pour prier.
La foi chrétienne nous assure que si, à notre naissance, nous sommes attendus par notre famille et nos parents, nous sommes aussi précédés par le désir de Dieu. C’est ce qu’annonce le livre du prophète Ésaïe lorsque Dieu dit : « Une femme oublie-t-elle son nourrisson ? N’a-t-elle pas compassion du fruit de ses entrailles ? Quand bien même elle l’oublierait, moi je ne t’oublierai pas, dit Dieu. Voici : je t’ai gravé sur mes mains[1]. »
Les Églises proposent aux parents un rite qui est une façon d’accueillir le petit qui vient de naître dans le monde des vivants. Pour les Églises qui s’inscrivent dans la réforme magistérielle, c’est le plus souvent un baptême ; pour les Églises de la tendance évangélique, c’est une présentation.
[1] Es 49.15-16a.
Sens du rite
Le rite est d’abord une parole d’accueil de la part de Dieu qui s’adresse à l’enfant pour lui dire : « Je t’ai appelé par ton nom depuis le commencement de ton histoire. Je t’ai tissé dans le sein de ta mère. J’ai gravé ton nom dans la paume de ma main. Tu n’es pas la propriété de tes parents, car tu es plus que la rencontre de leurs gamètes. Tu es appelé à ta propre histoire, à ta vocation singulière. » La pédopsychiatrie nous a appris que les nourrissons entendaient ce qui leur été dit, peut-être pas comme nous le pensons, mais comme ils ont besoin de l’entendre. L’inconscient est construit de toutes les paroles qui nous ont été dites et de tous les événements que nous avons vécus depuis notre naissance ; et même avant notre naissance ! Dans ce registre, il est important pour un tout petit d’entendre qu’il n’est pas né par hasard, qu’il n’est pas la propriété de ses parents, mais qu’il est le fruit du désir de Dieu.
Dans un article paru dans une revue théologique, Françoise Dolto parle de l’importance de la bénédiction des enfants. Elle est un point d’appui sur lequel il peut compter dans ses épreuves. Comme la bénédiction relève du symbolique, elle touche l’être humain dans ses profondeurs. On ne peut revenir dessus, car elle appartient à l’histoire du sujet : « La bénédiction des enfants a notamment lieu au moment du baptême qui peut être considéré comme la bénédiction des bénédictions : Être baptisé, c’est une bénédiction indélébile, et sur laquelle on peut compter… “Puisque tu es baptisé, il y a quelque chose qui est indélébile dans la confiance en toi que tu peux avoir, puisque Dieu a eu confiance en toi pour te relier à tous les autres chrétiens vivants, passés et même futurs“. »
Le baptême
En baptisant un petit, l’Église lui dit : « Toi, petit d’homme, tu es encore tout petit et tu ne comprends pas ce que tu fais là, tu n’as rien demandé et, quand tu seras plus grand, tu ne te souviendras même pas de ce jour. Pourtant, par ce geste, nous affirmons que tu es enfant de Dieu, tu es l’enfant de la grâce et de la miséricorde du créateur du ciel et de la terre. Avec l’eau, nous te bénissons dans le signe de la mort et de la résurrection du Christ. » Cette parole dit avec force le caractère premier de la grâce. Elle s’adresse à l’enfant qui reçoit le baptême et à l’Église qui en est le témoin.
Aux parents, le rite dit : « Rendez grâce à Dieu pour cette vie qui a été confiée à votre amour. Prenez soin de cet enfant, instruisez-le, permettez-lui de grandir, et quand l’heure sera venue, laissez-le partir. »
À l’Église rassemblée, le baptême dit : « Vous aussi, vous avez été baptisés un jour. La foi que vous proclamez n’est que la réponse au don premier de Dieu pour vous. Souvenez-vous de ce que disait l’apôtre Paul : “Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi fais-tu le fier, comme si tu ne l’avais pas reçu[1] ?“ »
Lorsque l’Église baptise les petits, elle confesse qu’elle n’est pas sur terre pour recruter des adhérents, mais pour témoigner de l’amour inconditionnel de Dieu. Si l’enfant ne peut répondre à cet amour, il est à l’image de chacun, car qui, parmi nous, peut dire qu’il mérite de recevoir le signe de Dieu ? Luther a dit : « S’il fallait d’abord être sûr que celui qu’on va baptiser a la foi, alors on ne pourrait plus baptiser personne… C’est précisément parce que les petits enfants n’ont ni intelligence ni raison qu’il faut les baptiser. »
[1] 1 Co 4.7.
La présentation
Trop souvent, les parents qui font baptiser leurs enfants pensent qu’ils ont assumé leur devoir religieux et que maintenant, leur progéniture peut être aussi infidèle à l’Église qui l’a baptisée qu’ils le sont eux-mêmes. La dérive des Églises qui pratiquent le baptême des petits est de devenir une Église de tièdes, une Église qui prêche une grâce à bon marché, un pardon sans repentance, un évangile sans conversion, un christianisme bourgeois qui n’est qu’un vernis de spiritualité. Les paroles sur l’amour inconditionnel de Dieu sont justes, mais elles sont dévoyées lorsqu’elles deviennent des oreillers de paresse pour justifier un conformisme le plus plat. En réaction à cette dérive, certaines Églises annoncent que, si le baptême est le signe de l’entrée dans la communauté, il devait être le fruit d’une conversion et être précédé d’une confession de foi. Dans cette compréhension, le baptême n’est pas le signe d’une grâce inconditionnelle offerte à tous, mais celui de la réponse que nous apportons à cette grâce.
Les Églises qui ont pris leur distance avec le baptême des enfants, proposent aux tout petits un rite qu’on appelle présentation ou bénédiction d’un enfant. Le sens est le même que celui d’un baptême sauf qu’il laisse au sujet la possibilité de demander lui-même son baptême quand il le souhaitera.
Que ce soit le baptême ou la présentation à l’Église, le rite a pour objet d’inscrire l’enfant dans une histoire qui le précède et dans laquelle il est invité à trouver sa place.