Depuis plusieurs semaines, les rédactions des journaux chrétiens le savaient, mais à la différence de la presse de caniveaux, elles ont attendu l’annonce officielle de l’association l’Arche pour divulguer l’information qui est un coup de poignard dans le cœur des chrétiens : Jean Vanier était un prédateur sexuel.

Pour moi et pour beaucoup d’autres, Jean Vanier était un modèle spirituel, le témoin d’une foi mise en pratique. Il est le fondateur de l’Arche qui compte 147 communautés réparties sur les cinq continents, dont 32 en France où vivent ensemble des volontaires et des personnes ayant une déficience intellectuelle.

C’était un sage qui nous invitait à regarder en face nos propres fragilités pour en faire des lieux de grâce. Ses livres sur la vie communautaire, sur la blessure, sur la paix intérieure et sur l’œcuménisme m’ont nourri spirituellement et théologiquement. C’était un homme rayonnant.

Ce qu’on sait aujourd’hui sur la face sombre du personnage pose beaucoup de questions. Comme je ne veux pas croire que ce n’était qu’un pervers – son œuvre parle pour lui – il faut chercher les causes qui l’ont conduit au pire. Parmi ces dernières, je vois une spiritualité qui sublime la sexualité dans un amour d’amitié, fraternel et désincarné, qui oublie juste que nous sommes des êtres de chair et de désir.

Je ne peux que répéter ce que j’écrivais dans l’article du 16 décembre dernier : « J’ai trop d’amitié pour l’Église catholique pour ne pas partager une partie de l’opprobre qui tombe sur elle pour les scandales sexuels. Parmi les raisons, il y a le fait que trop longtemps l’Église a considéré le désir sexuel comme suspect. À nier que nous sommes des êtres de désir, ce dernier risque de se manifester de façon obscure. Chassez le désir par la porte, il entrera par la fenêtre… parfois sous la forme de monstres. »

Je suis en débat avec une amie théologienne à propos de l’apôtre Paul. Elle se moque en souriant de sa conception de la sexualité quand il dit que le mieux serait que tout le monde puisse être célibataire, mais que ceux qui ne peuvent se maîtriser se marient « car il vaut mieux se marier que de brûler[1]. » Cette approche du mariage ne paraît pas très noble, mais après tout on mange parce qu’on a besoin de se nourrir et on dort parce qu’on a besoin de se reposer. Et vivre une sexualité respectueuse de son partenaire est aussi une école d’humanité. Plutôt que de nier sa sexualité génitale, n’est-il pas préférable d’apprendre à l’humaniser.

Certains peuvent avoir ce que l’Église appelle la grâce du célibat qui est cette capacité à maîtriser paisiblement ses désirs sexuels – c’était manifestement le cas de Paul – mais ce n’est pas le cas de la majorité et ce ne fut pas le cas de Jean Vanier. Alors plutôt que de développer une spiritualité de la chasteté en sublimant le désir charnel en désir de Dieu, n’est-il pas plus sage de reconnaître que nous sommes des êtres de désirs, y compris de désir sexuel : « Le Seigneur Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je vais lui faire une aide qui sera son vis-à-vis[2]. »

[1] 1 Co 7.9.

[2] Gn 2.18.