Cet article a été publié pour la première fois le 9 juin 2020.

Pour nous aider à penser ce qui nous arrive, je voudrais faire deux précisions et trois remarques.

La première précision est que l’expression violence policière est un pléonasme, car une des fonctions de la police est d’arrêter ou d’atténuer la violence, y compris au moyen de la force. La sociologie définit l’État comme l’instance qui possède le monopole légitime de la violence, c’est-à-dire qu’il est le seul à pouvoir utiliser légitimement la violence, et il le fait par sa police. La police est un des piliers de toute société. Il suffit de voyager dans les pays dans lesquels la police est faible ou corrompue pour mesurer l’importance de cette dernière. Le droit à la sécurité est un droit de l’homme. La police n’est pas toujours agréable, mais elle est toujours nécessaire. Un sage du judaïsme a déclaré : « Priez pour l’État ! Sans lui, les hommes s’avaleraient vivants les uns les autres. »

La deuxième précision est que l’accusation « les policiers sont racistes » est une expression raciste. L’attitude raciste consiste à considérer une personne à partir d’une catégorie englobante, et non comme un individu unique. Il suffit qu’un seul policier ne soit pas raciste pour que l’expression soit fausse. Dans son livre sur son expérience des camps de concentration, Bruno Bettelheim rappelle que c’était les nazis qui réduisaient les individus à des ensembles : les Juifs, les tziganes, les communistes… et qu’il convient de ne pas tomber dans ce travers. Bettelheim nous invite à lutter contre le racisme en évitant au maximum de parler par généralité. Dire les Juifs, les Palestiniens, les Américains ou les policiers, c’est englober sous une appellation unique des individus différents alors que nous devons toujours chercher le sujet derrière le groupe.

Si tous les policiers ne sont pas racistes, il existe des policiers racistes, comme il existe des chauffeurs d’autobus, des chanteurs, des sportifs et des médecins racistes.

Pour les policiers, c’est plus grave car ils ont l’usage légitime de la violence et leur haine peut s’exprimer avec plus d’impunité. Dans De l’esprit des lois, Montesquieu a écrit : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. » Il a ajouté : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » C’est pourquoi il est essentiel qu’à côté de la police il y ait des procédures pour empêcher ses tentations racistes. Ce sont ces procédures qu’il faut interroger, et corriger si nécessaire, dans la situation actuelle.

Une « bonne » police est une police qui sait arrêter la violence en étant elle-même la moins violente possible. En même temps que la dérive de certains policiers, il faut dénoncer avec la même intransigeance ceux qui alimentent cette violence en rêvant de « casser du flic. » J’ai été le témoin cet hiver d’une scène dans une manifestation de lycéens. Des agitateurs excitaient les adolescents pour qu’ils attaquent les policiers. Ils se mettaient avec eux derrière des poubelles et courraient vers la police. Cinq mètres avant la confrontation, ils s’arrêtaient pour laisser les jeunes aller au contact et sortaient leurs téléphones dans l’espoir de filmer un policier taper un sur lycéen. Aussitôt le film se retrouvait sur les réseaux sociaux.

Si nous aspirons à une société plus apaisée, il faut souhaiter une réconciliation de la jeunesse avec sa police. Pour cela il est nécessaire de réformer ce qui doit l’être dans l’institution, mais il est tout aussi important de dénoncer les discours racistes qui attisent la haine du flic sous prétexte que certains d’entre eux ont eu des attitudes racistes.