Alors que la guerre hante à nouveau l’Europe et occupe tous les esprits, Antoine Nouis, journaliste pour Réforme, propose une approche singulière et dérangeante : penser la guerre à travers une « grille de lecture diabolique ». Ce cadre, proposé dans une série d’articles réunissant des voix théologiques protestantes, vise à éclairer les mécanismes profonds à l’œuvre dans les conflits, au-delà des analyses géopolitiques classiques.
Loin de sombrer dans le sensationnalisme, Antoine Nouis rappelle que l’Église ne demande pas de croire au diable — seulement en Dieu. Mais la Bible, elle, en parle. Et selon les textes, le diable n’est pas tant une entité que l’incarnation du mal actif, structuré, influent. En grec biblique, deux mots désignent le mal : kakos (le mal comme absence de bien) et ponêros (le mal comme force agissante, le « malin »). C’est ce second terme qui structure la réflexion.
Le diable, qualifié de « père du mensonge » dans les Évangiles, est une figure centrale de la guerre moderne. Pour illustrer cela, Antoine Nouis convoque Jacques Ellul et son œuvre sur la propagande. Selon Ellul, la propagande née avec la Première Guerre mondiale est une parole qui n’a pas pour but de dire le vrai, mais d’influencer. Une logique perverse qui a gagné aujourd’hui la politique et les médias. En guerre, la parole ne décrit plus le réel, elle le fabrique. L’exemple de la rhétorique de Vladimir Poutine sur l’Ukraine l’illustre parfaitement : nier l’existence d’une guerre, qualifier les Ukrainiens de nazis, inventer des menaces de l’OTAN — tout cela pour justifier l’injustifiable.
Autre aspect du diabolique : la notion d’autorité démoniaque. Dans le récit évangélique de la tentation au désert, le diable propose à Jésus richesse, pouvoir et séduction. Ce sont là des forces capables de prendre le dessus sur la conscience humaine. En temps de guerre, ces puissances — pouvoir, vengeance, orgueil — dominent les raisonnements, jusqu’à conduire à des décisions irrationnelles, voire autodestructrices.
Deux exemples historiques le montrent. En 1917, alors que le pape Benoît XV proposait une médiation pour mettre fin à la Première Guerre mondiale, la France et l’Allemagne refusèrent, piégées dans une logique de vengeance et de victoire totale. Résultat : une guerre prolongée, une Allemagne humiliée, et la montée du nazisme. Même logique pour Vladimir Poutine : engagé dans une guerre absurde, contre-productive, il persiste malgré les pertes humaines, l’isolement diplomatique et l’effondrement économique. Comme s’il était « habité » par une puissance obscure qui le pousse à l’absurde.
Penser la guerre avec la catégorie du diabolique, c’est donc nommer cette mécanique invisible qui déforme la vérité, déchaîne la violence, et aliène la volonté humaine. C’est oser une théologie lucide face aux tragédies de notre temps.
Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Antoine Nouis
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Quentin Sondag, Horizontal pictures