Commençons par un gros plan sur une première matrice évangélique non pentecôtiste.
Une première dynamique sociale et culturelle qui porte l’essor protestant à Haïti aujourd’hui s’observe dans les milieux protestants et évangéliques de type piétiste, marqués par l’accent sur la norme biblique (biblicisme) et la conversion. Ces milieux sont en particulier de type baptiste, méthodiste, presbytérien (d’expression évangélique), anglican (d’expression évangélique) ou assemblées de frères. Ils représenteraient environ 15 à 20% du total protestant haïtien aujourd’hui.
Une offre chrétienne locale et post-coloniale
Ces milieux protestants défendent une offre de salut tournée vers un Jésus-Christ souffrant et victorieux, qui pardonne et relève, et mettent en oeuvre un christianisme fondé sur des communautés locales de fidèles enseignées par un pasteur marié. L’enseignement est appuyé sur le référentiel biblique et l’expérience de foi. Ces protestants s’opposent frontalement au catholicisme, considéré comme un christianisme dévié, et contestent les accommodements de ce dernier avec le vaudou. Ils s’inscrivent ainsi dans une certaine démagification du religieux, non sans faire valoir aussi la non-compromission du protestantisme dans l’ancienne mainmise coloniale sur Haïti. L’Église romaine se trouve rejetée au profit d’une autre option chrétienne fondée sur la légitimation par le bas: c’est la paroisse ou l’assemblée locale qui détient l’essentiel du pouvoir, tout en s’inscrivant en réseau réticulaire appuyant de véritables subcultures d’entraide et de formation. Ces protestants ont soutenu la mise en place, en 1986, d’une Fédération Protestante d’Haïti, principal interface institutionnel avec les protestantismes d’autres pays. Elle fête cette année ses 30 ans !
Influence française et Plateforme Haïti
Via la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) et la Plateforme Haïti constituée en 2008, « espace informel de concertation et de coordination des organisations liées au protestantisme français et engagés en solidarité avec Haïti », l’influence de la France sur ce protestantisme haïtien n’est pas négligeable[1]. Il existe en particulier des liens structurés avec la Fédération Protestante de France, avec le DEFAP (département français de mission), et l’association La Cause. FPF et DEFAP ont développé ces liens depuis la fin des années 1980. Du 8 au 15 décembre 2008, le président de la FPF, le pasteur Claude Baty, se rendait en Haïti et déclarait ceci: «Évidemment, si on en juge en termes de pouvoir et d’argent nos moyens sont ridiculement faibles. Mais cette rencontre aura lieu dans le temps de l’Avent, cela rappellera à chacun l’importance de l’espérance. Au final, il est certain que nous recevrons de nos frères et sœurs d’Haïti une leçon de courage et de foi»[2].
Influence états-unienne croissante
Mais ces relations protestantes franco-haïtiennes passent au second plan devant l’influence évangélique américaine. Cette dernière passe par un kaléidoscope d’agences missionnaires, parmi lesquelles celle de la puissante Convention Baptiste du Sud (Southern baptist Convention). Elle nourrit aujourd’hui des dynamiques d’émancipation par l’entreprenariat, mais aussi des tentations néo-coloniales. Elle valorise les communautés locales, finance projets de construction de lieux de culte, écoles, centres sociaux. Dans un pays marqué par un des taux de corruption les plus élevés au monde, elle contribue à une culture de la responsabilité communautaire et à une circulation horizontale des ressources, par et pour les populations. Mais elle opère aussi sur la base de nombreux malentendus culturels et linguistiques, et n’est pas dépourvue sinon d’arrière-pensées néocoloniales, du moins d’expressions d’un soft power états-unien moins tourné vers l’intérêt pur d’Haïti que celui de l’Oncle Sam. Ainsi, l’apport massif de riz gratuit, transmis via USAid par de nombreuses églises évangéliques baptistes états-uniennes après le tremblement de terre à Haïti, a conduit à l’effondrement de la production locale de riz[3]… La disproportion de moyens entre les puissants réseaux évangéliques états-uniens et les Églises locales haïtiennes ne facilite pas les partenariats équilibrés et pose la question suivante: et si les protestants haïtiens devenaient, aux yeux du Grand frère états-unien, un nouvel Oncle Tom, coreligionnaire, certes, mais soumis et sans réelle marge de décision autonome ?
Ce scénario n’est cependant pas près de se réaliser, tant les renouvellements des Églises haïtiennes plaident pour la créativité et la vitalité interne du terreau protestant créole et francophone local.
A suivre…
[1] Article « Plateforme Haïti », site protestants.org (portail FPF), consulté le 12 juin 2016.
[2] Marie-Claire Antony, « Le président de la Fédération Protestante de France en Haïti », communiqué DEFAP, 8 décembre 2008.
[3] Mats Lundahl, The Political Economy of Disaster : Destitution, Plunder and Earthquake in Haïti, Routledge, 2013, p.269.