Lors du Congrès du Modem, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a promis de promouvoir l’introduction de la proportionnelle pour les prochaines élections législatives afin d’encourager nos concitoyens à voter. Mais pour le politologue Gaël Brustier, c’est le manque de culture politique qui nourrit l’abstention des Français.

Le peuple politique est-il en train de dissoudre ses passions dans le bain moussant de la communication ? Pour le dire autrement, les Français perdent-ils leur boussole en ignorant les enjeux de la Cité ? Les philosophes se perdent en conjecture, et peinent à détourner le regard de nos concitoyens des parois de nos cavernes contemporaines que sont les réseaux dits sociaux, les chaînes d’information démagogiques. De leur côté, les historiens cherchent dans le passé des raisons d’espérer.

Quelques jours après que Loris Chavanette a défendu pour nous les bienfaits de la pensée libérales, Gaël Brustier, politologue, auteur d’un livre décapant – « Les analphabètes au pouvoir » (Le Cerf, 96 p. 9,50 €) propose une autre analyse de la situation. 

La communication versus la transmission d’une histoire commune

« Le problème qui se pose à nous ne peut être résolu comme par enchantement, prévient-il en préambule. Nous pouvons en revanche en identifier le symptôme : la disparition des partis politiques. Ils étaient impopulaires aux yeux de certains de nos concitoyens, prompts à se méfier de toute forme de structure collective, de tout embrigadement. Mais ils permettaient le partage des idées, le débat, la transmission d’une histoire commune. Aujourd’hui, la communication se porte sur les individus, comme si la course des petits chevaux de notre enfance l’emportait sur la confrontation des programmes et donc des orientations fondamentales. »

N’est-il pas significatif que la Fondation qui porte le nom de Jean Jaurès soit animée en grande partie par un directeur d’Etudes d’Euro RSCG Worldwide, célèbre agence de communication ?

Bien sûr, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur une profession, encore moins des individus – souvent talentueux. Mais d’observer que désormais, dans notre vie publique, domine le contenant sur le contenu. « Lorsque nous assistions à des congrès de partis politiques, à droite comme à gauche on voyait des gens qui connaissait le grand vent de la vie, souligne Gaël Brustier. Rencontrer Pierre Messmer, Pierre Joxe ou Léo Hamon, personnalité moins connue du grand public mais dont le parcours était exceptionnel, voilà qui permettait de recevoir un héritage collectif, même si l’on ne partageait pas les mêmes convictions. » 

L’héritage collectif pour éclairer le présent

D’une façon plus large, ce n’est pas la question d’un rapport tragique à l’histoire qui se pose – on ne va pas regretter de vivre en paix, ce serait le comble de l’indécence – mais celle d’une transmission qui ne se fait plus. Nombre de nos concitoyens ne connaissent pas ce que fut la vie publique entre 1918 et 1940, ignorent jusqu’à l’existence du MRP, croient que le Parti Radical a toujours été un groupuscule, et le nom de Richelieu ne leur dit plus grand-chose. En soi, cela ne serait pas un problème si les enjeux d’autrefois ne se posaient plus. Mais hélas, quoi que l’on dise et pense, les rapports de force demeurent et s’organisent d’une façon comparable. Si les références au passé n’empêchent pas de commettre des fautes, elles évitent au moins de vous faire croire que chaque matin vous inventez l’eau chaude – à moins qu’il ne s’agisse d’un nouveau monde.

Selon Gaël Brustier, le comportement d’Emmanuel Macron se résume à de  la communication. « Le président de la République est un séducteur qui ne crée rien, déplore-t-il. Autocentré, narcissique au point de se faire photographier en boxeur, il donne l’impression de n’avoir pas le début d’une vraie politique. Il est entouré d’individualités qui naviguent entre soif du pouvoir et désir intense de l’argent qui l’accompagne. Ils ne sont pas dénués de culture, notamment dans le domaine économique, mais leur obsession du présent les prive de la capacité à puiser dans un passé lointain les subtilités dont nous avons besoin pour nous projeter dans l’avenir. »

Légiférer, oui, mais encourager aussi une société de confiance

Et le politologue de constater que, faute d’avoir prise sur les événements mondiaux, nos élus se penchent sur notre vie quotidienne et légifèrent au lieu d’encourager la vitalité d’une société de confiance. « Entre un malade et son médecin, la relation humaine doit-elle passer par une loi ? S’interroge Gaël Brustier. La loi s’empare d’aspects de notre vie collective là où elle devrait se faire discrète. En revanche, elle s’efface quand les intérêts privés s’emparent de l’intérêt général. » Cette inversion des rôles ou des priorités nourrit le ressentiment de nos concitoyens, qui tout à la fois hurlent contre les réglementations de toutes sortes et réclament une aide substantielle qui ne vient pas.

Pour en sortir, Gaël Brustier, nous l’avons dit, ne possède pas de recette miracle. Tout juste préconise-t-il une forme d’exil intérieur, une recherche spirituelle, un retour à la culture. N’est-ce pas ce qui explique l’émergence d’une multitude d’associations, de regroupements atypiques ?

Un peu partout des citoyens se rassemblent aussi bien pour promouvoir une agriculture biologique, des événements culturels, des modes de vie communautaires connectés par des réseaux de solidarité. Certes, ils sont embryonnaires. Mais n’est-ce pas justement leur vocation ? Leur désir ? Il est en tout cas présomptueux de penser que l’instillation d’une dose de scrutin proportionnel changera la donne.