Pasteur et chargé de mission pour la justice climatique de l’UÉPAL, Jean-Sébastien Ingrand (interrogé par Michel Rodes) retrace ici la longue et difficile maturation des questions écologiques dans le protestantisme français, qui n’a pas manqué de précurseurs mais a ensuite, par rejet de la démarche œcuménique en la matière et du tout-politique des années 1960, «laissé passer les trains». Or, même si la Bible «ne tient pas un discours écologique direct», elle «interroge fortement la manière dont l’être humain désire habiter la Terre». Les chrétiens ont donc des atouts pour «promouvoir une approche spirituelle de l’écologie» au sein de mouvements «parfois en quête de sens».

À l’heure de la théologie verte, quel est votre ressenti au regard des trente dernières années? Quels sont les contrastes à mettre en parallèle?

Les chrétiens étant généralement de leur temps, il a fallu attendre ces dernières années pour que les questions engendrées par la crise écologique pénètrent vraiment les milieux d’Églises. Ceux, peu nombreux, qui ont été des précurseurs isolés se sont heurtés, longtemps, à de l’indifférence, voire aux ricanements. Aujourd’hui, ils sont heureux de sentir un frémissement et un début de prise de conscience. Mais ce qui me semble dominer, quand même, à l’heure actuelle, ce sont deux éléments : la peur et le problème d’échelle de priorité. L’avenir est maintenant porteur d’angoisse et il faut impérativement la prendre en compte ; surtout parmi les plus jeunes. De plus, en Église, s’ancre le sentiment qu’il y a des priorités plus grandes que l’écologie. Ces deux éléments ont pour conséquence, dans le meilleur des cas, de situer les prises de position et les initiatives dans le domaine de la réaction davantage que dans celui de l’action.

Quels sont alors les possibles?

L’enjeu est, d’une part, d’être réaliste sur la crise irréversible dans laquelle nous sommes en train d’entrer et, d’autre part, de poser des paroles d’espérance. Il est essentiel d’être conscient de ce couple action/réaction. «Il ne s’agit (…) pas seulement de ‘garder’ la nature d’une manière réactive, en luttant contre sa dégradation, mais de la ‘cultiver’ d’une manière créative, en œuvrant avec la vie» (1). Et là, nous sommes attendus.

C’est donc un changement de décor complet par rapport à ce que vous avez connu jeune étudiant en histoire, puis en théologie, à Montpellier?

Quand j’ai commencé des études de théologie à la Faculté de Théologie protestante de Montpellier, j’ai choisi de m’intéresser à Jacques Ellul, notamment à sa pensée entre 1936 et 1948. J’étais très seul. Je découvrais les travaux historiques, menés au Canada par Christian Roy, établissant de manière irréfutable le rôle de pionniers en matière d’écologie politique joué en France par Bernard Charbonneau et Jacques Ellul (2). Roy est un remarquable historien des idées, hélas peu connu, qui a contribué de manière décisive à sortir des ténèbres de l’histoire le passé de Charbonneau et Ellul. Ses travaux ont montré que le personnalisme écologique, troisième voie au sein du personnalisme, est une entité historique […}